Chronique

Paul Bley, Gary Peacock, Paul Motian,

When Will the Blues Leave

Paul Bley (p), Gary Peacock (b), Paul Motian (dm)

Label / Distribution : ECM

Trente ans après une première collaboration discographique (qui date de 1970 mais dont les enregistrements remontent aux années 60), déjà sur ECM, le trio Paul Bley, Gary Peacock, Paul Motian se réunit en 1999 pour un disque resté dans les mémoires. Not Two Not One montrait la connivence de trois musiciens en pleine possession de leur art et la liberté absolue avec laquelle ils comptaient l’exercer. When Will the Blues Leave se situe, de fait, dans le parfait prolongement. Enregistré en public la même année dans le cadre d’une tournée promotionnelle, il ouvre un peu plus encore le potentiel dont ces trois maîtres sont capables une fois réunis.

Les compositions de Bley et Peacock (complétées d’une d’Ornette Coleman et une de Gershwin) sonnent comme des standards et montent un répertoire qui, là encore, fascine par le haut niveau des interventions de chacun. Avec un appétit féroce de musique, le pianiste lance des traits coulants à la fois abstraits et mélodiques. Quoique d’une évidence semblant ne lui coûter aucun effort, il n’envahit pourtant jamais le discours général. Les grandes respirations de ses phrases donnent à Gary Peacock le loisir d’intervenir dans un dialogue permanent. La précision du jeu de ce dernier, resserré dans sa poétique, établit un échange subtil avec les doigtés plus lunaires du pianiste que le batteur ne manque pas de compléter à sa manière si personnelle. Jouant d’un swing affirmé ou implicite, il est à la fois le point d’équilibre et de vacillement qui conduit à tous les contrepieds et toutes les contredanses.

Pourtant, au-delà de ces qualités individuelles, c’est bien le trio en tant que tel qui s’affirme. Le son d’ensemble, profond et charnel, change d’humeur au détour d’une note avec la souplesse d’un chat et se promène avec décontraction et une sincérité authentique. Du romantisme au jazz le plus strict, il convoque de nombreux registres sans nulle hiérarchisation. Le blues tient cependant lieu de fil rouge (ou de fil bleu). Sans le limiter, là encore, au sentiment de tristesse diffuse dans lequel on le cantonne par facilité, il est aussi espièglerie, contestation de l’ordre ou instant de tendresse. Musique des origines, il est le terrain de jeu de ces enfants naïfs et géniaux.