Chronique

[LIVRE] Collectif sous la direction de Laurent Cugny et Lucien Malson

Les cahiers du jazz

Quarante-cinq ans après leur premier numéro, Les Cahiers du jazz sont de retour. Sous la houlette de Laurent Cugny et d’un des fondateurs de la revue, Lucien Malson, une équipe de musicologues, enseignants, journalistes… relance l’aventure.

Pianiste, cinéaste, chef d’orchestre (dont l’Orchestre National du Jazz), compositeur, journaliste, Laurent Cugny est le digne successeur d’André Hodeir comme chef de file de la musicologie du jazz en France. En tous cas, il a la bénédiction d’un comité éditorial qui tient le haut du pavé dans la « jazzosphère française » ; de Baudoin à Tercinet, en passant par Clergeat, Gerber, Méziat… et même Hodeir, himself !

Il est évident que Les Cahiers du jazz comblent un vide. Il manquait en effet une revue qui livre des études de fond sur la musique afro-américaine. C’est l’objectif des Cahiers du jazz, qui s’articulent autour de trois parties bien différenciées : un dossier, des textes et des rubriques.

La partie « dossier » décortique un sujet sous tous ses angles. Dans ce numéro, c’est Keith Jarrett qui passe à la moulinette. On y trouvera, entre autre, une analyse générale particulièrement pertinente, une comparaison formelle d’« All The Things You Are » joué par Brad Mehldau et par Keith Jarrett, un essai sur le « ça » dans la musique de Keith Jarrett (ce je-ne-sais-quoi qui n’est presque rien, mais fait toute la spécificité de l’œuvre du pianiste), et, bien entendu, une discographie raisonnée, très réussie.

Les « textes » s’apparentent à des essais sur des thèmes très variés, comme la difficulté d’écrire l’histoire d’une musique qui, par essence, ne reste pas en place, ou encore, ce texte astucieux de Xavier Prévost qui évoque « la mise en perspective de l’intime, qu’il s’agisse de pensée ou d’émoi, à propos du jazz ». Sans oublier une intéressante étude historique sur Jazz-Tango, l’une des toutes premières revues sur le jazz, créée en 1930 et à laquelle participèrent Delaunay et Panassié, avant de lancer Jazz Hot.

Dans les « rubriques », le lecteur s’intéressera à des comptes rendus de lectures, à un essai sur le chiffrage des accords… et à un entretien avec André Hodeir qui montre que bien vieillir avec son temps n’est pas chose aisée…

Disons-le d’emblée : Les Cahiers du jazz est une revue sérieuse. La présentation est austère : en noir et blanc et sans illustrations (une photo de Keith Jarrett et d’André Hodeir, ainsi qu’une reproduction de la couverture d’un numéro de Jazz-Tango n’auraient pourtant pas nui au sérieux de l’ensemble). Entourés de marges étroites, les textes sont compacts et leur style d’une neutralité toute universitaire. Seul écart vis-à-vis de cet ascétisme, un disque, avec des morceaux analysés dans l’étude sur Keith Jarrett.

Dans son entretien, André Hodeir déclare qu’« à force de s’élargir, le mot a perdu son sens et le jazz son identité ». Les Cahiers du jazz contredisent parfaitement cette affirmation, et c’est tant mieux ! Le musicien ou l’amateur peuvent donc saluer cette initiative et souhaiter à Laurent Cugny et ses compagnons que Les Cahiers vivent longtemps, heureux, et qu’ils aient de nombreux rejetons…

par Bob Hatteau // Publié le 8 novembre 2004
P.-S. :

Les Editions Outre Mesure - Prix indicatif : 15 € - 157 pages.