Scènes

Histoire(s) de l’Orchestre National de Jazz

Bref rappel des épisodes précédents


Pour mieux comprendre l’impact du nouvel ONJ sur le paysage du jazz français, un petit portrait amer (qui n’engage que moi) de l’ONJ depuis sa création me semblait nécessaire.

Claude Barthélémy adore Jean-Marc Montéra.

Montéra est guitariste, responsable du Groupe de recherche et d’improvisation Musicale. Le GRIM travaille dans un superbe lieu appelé Montevideo.

C’est à Marseille.

Claude Barthélémy voulait venir y jouer.

Justement, Barthélémy est nommé directeur de l’Orchestre National de Jazz.

C’est un orchestre créé en 1986 par Jack Lang.

Lang était ministre de la culture de François Mitterrand.

A cette époque, il y avait une émulation et créer un orchestre NATIONAL de Jazz était culotté et super moderne. Des musiciens déposaient un dossier dans lequel ils expliquaient leurs motivations, leurs projets, etc. Une commission, qui comptait comme membres les personnalités les plus éminentes du jazz en France, choisissait l’heureux élu en toute impartialité et en fonction de critères artistiques bien précis. Les musiciens étaient heureux, l’orchestre jouait bien, et les disques sortaient chez Label Bleu (en plus c’était de bons disques).

Michel Orier, directeur de Label Bleu était dans la commission de l’ONJ.

Tout allait bien.

Les amateurs de jazz ont pu entendre plein de chefs d’orchestre différents, et surtout, plein de musiciens heureux, jeunes et talentueux.

Ah, la, la, que c’était chouette !

Puis, les années 90 se sont terminées et avec elles, après Laurent Cugny, l’ONJ a fini sa course au sol, les pieds empêtrés dans les filets politiques. Déjà, le passage de Laurent Cugny avait marqué une époque, la fin du monopole de Label Bleu pour les disques de l’ONJ.

Didier Levallet avait tenté de redresser la barre d’un navire en perdition, en vain.

En effet, l’ONJ, l’orchestre à explosion, le fer de lance du jazz créatif et subventionné s’était révélé comme un véritable instrument de pouvoir.

Qui dit pouvoir, dit lutte des classes.

Et justement, François Jeanneau en a de la classe.

Jeanneau est responsable des classes de jazz du Conservatoire National Supérieur de Musique (à Paris), ancien directeur de L’ONJ en 1986, il aurait bien aimé retrouver son poste à l’ONJ, et comme il a quelques très bons élèves en réserve, il propose de remonter une équipe.

En fait, non. Pour des raisons très simples à comprendre, c’est Paolo Damiani qui présente le projet.

Paolo Damiani, c’est un musicien italien.

En Italie, il a beaucoup de pouvoir : il joue, enseigne, produit des festivals, dirige des institutions…

En France, personne ne le connaissait.

Comme l’ONJ s’essoufflait, qu’il était remis en cause et que les malheureux mais excellents candidats qui présentaient leurs projets depuis des années sans succès ne plaisaient toujours pas à cette commission, c’est la voie rassurante de la tradition qui fut choisie.

Andy Emler et Emmanuel Bex, par exemple, savent de quoi il est question.

Bon, Jeanneau et Damiani ont eu l’ONJ.

C’était en 2000. Pour trois ans.

Mais là, en dehors du fait que le projet Damiani-Jeanneau manquait de souffle musical, les ennuis ont commencé. Il faut dire aussi que l’ONJ est subventionné.

Alors, entre le retour masqué de François Jeanneau, les histoires internes à la commission, les attaques en règle de la presse, quelques démissions de membres de la commission, les difficultés à faire tourner cet orchestre, l’ONJ s’est presque arrêté.

Il fallait vite faire quelque chose pour sortir de l’impasse.

A ce moment, le départ de Damiani est vécu comme la fin de l’orchestre.

Mais, coup de théâtre, l’ONJ se relève, dresse fièrement la tête et tel le phœnix, renaît de ses cendres.

Dans la pâle lueur blafarde de ce jour sans nom, surgissant devant la commission, Claude Barthélémy s’avance et d’une voix enrouée déclare reprendre du service, pour la France, Monsieur.

Sauvé. Tout le monde oublie. Tout le monde pardonne.

Seules quelques voix perdues s’étonnent de la re-nomination de cet ancien directeur de l’ONJ (1989-1991).

On nous refait le coup de Jeanneau ! entend-on dans les travées.

C’est un scandale, dire qu’il y a tant de projets originaux qui sont refusés ! crie-t-on sur le parvis.

Mais le guitariste (car Claude Barthélémy est guitariste aussi) sourit. Il sait, lui, qu’il pourra reprendre en main ce cachalot échoué qu’est l’ONJ.

Il a des armes et des amis.

Et puis il est chez Label Bleu…

Et puis il est français, pas italien.

Et puis de toute façon, c’est comme ça.

Alors, en ce mois de novembre, lorsque se joue le destin de cet orchestre mythique, il ne cache pas sa jubilation. Ils veulent voir ? Et bien qu’ils se déplacent !

L’ONJ Primeur, à Nantes le 14 novembre, histoire de régler la machine.

L’ONJ workshop à Marseille le 21, pour rôder le bolide.

L’ONJ planète à Paris les 26 et 27, où tout avait commencé.

Malin, le Claude. Comme son orchestre. Une machination. Des fils de (musiciens), des gars du nord, des jeunes et des moins jeunes, un ancien de chez Damiani, trois trombones pour deux saxes. Une vraie poupée russe.

Et cette tournée. Trois lieux en France pour les concerts inauguraux, Nantes, Marseille, Paris. Un tracé, le V de victoire ?

Ce soir-là, à Montevideo, il y avait du monde. Jean-Marc Montéra était content. Il a joué avec l’ONJ.

Montéra est un ami de Barthélémy. C’est pour ça que Claude voulait jouer ici.
D’habitude, on n’y entend pas vraiment de jazz. Plutôt de la recherche, de la musique improvisée.

Mais Claude voulait y jouer.

Justement, il était en tournée avec l’ONJ. Vous savez, l’Orchestre National de Jazz, cette machine infernale, la fierté de la France, la splendeur des splendeurs. Un véritable laboratoire, une usine à talents…

Unique au monde, Monsieur !