Entretien

Laura Perrudin

La musique de Laura Perrudin est le fruit de plusieurs années de recherches et de tâtonnements.

Photo ©Jacky Joannès

La chanteuse et harpiste s’est fabriqué un univers sonore à partir d’outils qu’elle a pensés, trouvés et apprivoisés. Une démarche qui lui permet aujourd’hui d’explorer une voie très personnelle et difficilement classable. C’est à la suite de son concert au festival Têtes de Jazz en Avignon, en juillet dernier, que l’artiste nous en a dit davantage sur son artisanat.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

Laura Perrudin, harpiste, chanteuse, je fais de la musique électronique. J’ai grandi en Bretagne, entourée de mélomanes et de musiciens. J’écoutais pas mal de choses différentes, du jazz, du hip-hop, de l’électro... J’ai découvert la harpe très petite ; j’ai eu un vrai coup de cœur pour cet instrument, ses sonorités et ses vibrations. C’est donc mon premier instrument, mais vu ma culture musicale, je me suis vite rendue compte qu’il serait compliqué de l’utiliser dans ce que je voulais faire. J’ai donc également commencé à chanter, à faire un peu de piano, et de la musique électronique.
Tout cela a eu lieu en même temps, j’apprenais la harpe et le répertoire classique au conservatoire, le jazz au piano et à la voix, et je composais de l’électro à l’aide de logiciels. Et naturellement j’ai commencé à vouloir unifier tout ça. Je trouvais de plus en plus contraignant de ne pas pouvoir utiliser la harpe, mon instrument premier, dans ma musique. Quand on écoute Wayne Shorter depuis l’enfance, on a des harmonies dans les oreilles qu’on ne peut pas jouer sur une harpe, parce qu’elle est diatonique. Ça devient vite assez frustrant.

Vous n’avez pas pensé laisser la harpe pour un instrument plus adapté à vos aspirations ?

Non, jamais, cet instrument est trop important pour moi, j’ai le son de la harpe dans la tête depuis toute petite, la vibration que cela crée, la palette sonore qu’il est possible de développer avec, tout cela me fascine. C’est un des instruments les plus anciens de l’humanité, et pourtant j’ai le sentiment qu’il y a plein de choses à faire, à explorer, car il reste rare à côté de la guitare ou du piano par exemple. Et ça, c’est très stimulant ! Alors, au lieu de vouloir arrêter j’ai cherché un moyen d’arriver à mes fins. Ayant une approche des harmoniques issues du piano, je voulais quelque chose qui en soit proche, mais transposé à la harpe. J’ai fini par entendre parler d’un luthier, Philippe Volant, qui avait fait une harpe chromatique, à la demande du harpiste François Pernel qui avait la même obsession que moi. J’ai donc rencontré ces deux personnes qui avaient tout simplement réalisé ce que je cherchais. Nous sommes quatre au monde aujourd’hui à jouer sur ce type de harpe.

C’est celle que vous utilisez aujourd’hui ?

Ça l’est devenu avec le temps. Au départ il m’a fabriqué une harpe acoustique avec un système de gammes chromatiques alignées, sur une seule rangée de cordes. Il a fallu réapprendre à jouer, me faire à ce « nouvel » instrument, créer mon propre langage, ce qui est aussi passionnant que compliqué parce qu’on n’a pas de référence dans ce genre de cas. Mais deux frustrations demeuraient : d’une part lorsque je jouais en groupe, il était impossible de restituer tous les sons, la harpe étant difficile à sonoriser, et d’autre part mon envie de travailler les sons dans une approche électro n’était pas encore possible. J’ai donc demandé à Philippe Volant de réaliser le même instrument, mais électrique. Je joue désormais sur une harpe chromatique électrique : elle n’a pas de résonance acoustique, le son est produit uniquement par le signal électrique, avec un micro par corde. J’ai eu l’instrument en 2014, et ensuite j’ai cherché les outils pour travailler avec. Aujourd’hui c’est le fruit d’une longue réflexion qui débouche sur ce système, où je suis seule sur scène avec des effets, un ordinateur qui est un looper multi-pistes, le tout mixé en direct par Jérémy Rouault, mon ingénieur du son.

© Christophe Charpenel

C’est l’instrument, et le fruit de toutes ces recherches qui vous ont poussé à jouer seule en scène ?

Il y a plusieurs raisons, d’abord j’aime bien développer ma propre musique, et la formule en solo laisse beaucoup de place pour déployer son imaginaire. J’ai d’ailleurs plusieurs projets solo, dont un complètement électronique, un autre entièrement acoustique. Ce travail est très important pour moi car il me permet de développer un langage très personnel, mais j’ai aussi besoin de jouer en groupe, de continuer à rencontrer des musiciens, de jouer avec eux. J’ai besoin de garder cette schizophrénie permanente entre le travail seule et celui en groupe, tout comme entre la musique très improvisée et la musique écrite.

L’encre, dans la nature, peut être utilisée comme une arme par certains animaux, alors que chez les humains c’est un antidote

Sur scène on voit naître vos chansons à partir d’un son, d’une boucle, la structure se développe sous nos yeux. Comment naît une chanson chez vous ?

Il y a plein de façons différentes : souvent ça part d’un texte, d’un poème, d’une idée, d’une image aussi. Pour moi, la musique c’est bien évidemment du son, mais c’est aussi de la peinture, de la danse, etc… alors j’aime bien ne pas trop penser la composition comme une construction musicale, mais comme un des aspects d’un tout. Cela peut être le fruit d’une improvisation, ou le travail autour d’une image ou d’une sonorité, un peu comme de la glaise, à force de modelage. Parfois, c’est simplement la mise en musique d’un texte.

Nous avons pu entendre tout à l’heure un morceau inédit, tout neuf, au style très hip-hop, vous pouvez nous en dire quelques mots ?

C’est un morceau tout neuf, oui, qui n’a pas encore de titre. Quand j’ai écrit ce texte, je ne savais pas trop ce que c’était. Et après coup, j’ai pu constater que c’était assez sombre, et un peu énervé. Ça coïncide avec ce que j’écoute en ce moment, une musique assez énervée (rires). J’aime bien jammer avec les machines parfois, et voir ce qui en sort. Comme il y a avait déjà quelque chose de très rythmique dans le texte en lui-même, cette forme un peu hip-hop et radicale est venue assez naturellement.

Il y a aussi cette idée d’un cauchemar qui devient une chanson qui elle-même en devient l’antidote - c’est la base du dernier album « Poisons & antidotes » ?

Oui, pas mal de morceaux du disque sont un développement de cette idée : mettre par écrit des choses dures à endurer, de façon cathartique : un peu comme une saignée, se délester par l’écriture. On part de choses très personnelles, qui une fois écrites, peuvent devenir plus universelles : cela permet de changer notre rapport qui auparavant était douloureux. De l’alléger, de le rendre plus sain. Par exemple, pour un morceau comme « Ink », j’ai trouvé intéressante l’idée que l’encre, dans la nature, peut être utilisée comme une arme par certains animaux, alors que chez les humains c’est un antidote.

Laura Perrudin par Christophe Charpenel

Vous êtes souvent programmée dans les festivals de jazz, mais votre musique est assez indéfinissable finalement. C’est un atout ?

Je suis pas mal programmée dans le jazz mais je ne me sens pas particulièrement musicienne de jazz, même si c’est une part indéniable de moi. J’ai beaucoup joué de standards, par exemple, et j’adore ça, mais ce n’est pas ce qui caractérise mon travail. Je suis aussi programmée dans d’autres domaines et j’espère que ce sera de plus en plus le cas. Ce qui est sûr, c’est que je ne suis pas spécialement affiliée au monde de la harpe : tout ce qui concerne ce milieu m’est assez étranger. Et je doute d’ailleurs qu’ils me connaissent également (rires).
Mon dernier album est très personnel ; il est difficile à décrire esthétiquement. Ce qui pour moi fait sens car il est très orchestré, tous les sons sont issus de la harpe et de ma voix, avec beaucoup de traitement. Ça donne quelque chose d’assez particulier, et j’espère que cela parlera aux gens, même si ça ne rentre dans aucune case. Donc c’est à la fois un atout, oui, dans le sens ou ça ouvre des perspectives, mais aussi un handicap car beaucoup de gens ont besoin de ces classifications pour s’y retrouver. C’est un petit combat, chaque jour, de dire « on ne sait pas trop ce que c’est, mais c’est ça ! ». Cela se passe globalement bien pour moi et beaucoup de choses s’ouvrent dans des domaines très différents, ce qui est assez encourageant. Par exemple, je travaille sur une création de danse contemporaine pour l’an prochain, j’aime bien me placer sur un horizon très large, ça m’angoisse un peu d’être enfermée.

L’improvisation demeure, cela semble être le lien entre tout ça ?

Oui, c’est vrai. Le disque est très produit, pour moi il est assez pop, même si on ne parle pas de musique « mainstream », ça reste un disque de pop pour moi. Avec des chansons très produites. Par contre, en live c’est plus spontané. Aucun son n’est préparé, je fabrique tout sur scène, ce côté artisanal, spontané, direct, ce rapport très organique à la musique, différent à chaque fois, est très important pour moi, je tiens à garder ça. Plus je joue mon répertoire, plus je m’en détache, ce qui me permet d’improviser par rapport à ce qui se passe et m’offre un espace de liberté très large, avec comme but que ça ne se voit pas forcément. Ça c’est encore mieux.