Chronique

Leïla Martial & Valentin Ceccaldi

Le Jardin des Délices

Leïla Martial (voc, perc, objets), Valentin Ceccaldi (cello).

Label / Distribution : BMC Records

Ce n’est pas un Luna Park. Il n’y a pas de lumières rouges qui clignotent, pas de ballons qui s’envolent ; le Jardin des délices de Leïla Martial et Valentin Ceccaldi n’a pas besoin de grands artifices pour stimuler les songes. C’est comme une balade « Au bord de l’eau », empruntée à Fauré et Sully Prudhomme, où tout commencerait dans un brouillard de milieu d’hiver dont les vapeurs auraient quelques vertus hallucinogènes qui agiraient par bouffées : la chanteuse est douée d’une imagination fertile, qu’elle sait mettre en scène sans se laisser déborder. À ses côtés, le violoncelle de Ceccaldi est comme une autre chanson où les cris et et les pleurs, les rires souvent, sont diablement incarnés et s’engagent dans des chemins empruntés au classique. De vieux sentiers aux friches vivaces qui ne tiennent qu’à un fil. C’est dans cet univers que le duo nous fait pénétrer, totalement à la merci de l’imprévu et pourtant dans un sentiment très familier. L’enfance.

C’est ici, dans cette luxuriance, qu’ils s’épanouissent : depuis Baabel, on sait Leïla Martial très joueuse et douée d’une certaine candeur. Valentin Ceccaldi sonde ces climats depuis Marcel et Solange. Ici, Le Jardin des délices débute par une belle partie de cache-cache, « Au bois de Saint-Amand », qui revisite la si belle et complexe chanson de Barbara. Leïla Martial y trouve de nombreuses pirouettes sans artifices, pendant que le violoncelle trouve quelques rythmiques comme le vent dans les arbres. Le ton est donné, à la fois léger et grave, joyeux mais avec une petite pointe acidulée. Une couleur qu’on retrouvera dans le magnifique « Mon frère » où la chanteuse utilise ses objets pour mettre en avant un texte où la famille, l’enfance et la filiation sont centraux. On ne peut s’empêcher de penser à Constantine qui explorait ces domaines avec une même ingénuité.

Et puis il y a la pièce de choix de ce Jardin des Délices. Celle qui renvoie à l’Éden et au luxe de détails de Jérôme Bosch et dont le duo s’empare avant de se confier à Purcell (« Cold Song »). Dans « Le Jardin des Délices », le violoncelle dessine une mer de nuages à l’archet sur laquelle flotte une voix séraphique. Çà et là, le duo bifurque, comme on entre dans une pièce secrète et inconnue pour une toute autre perspective, avant de reprendre la quiétude d’un débit sans rupture, branché sur un onirisme puissant. C’est un disque d’une grande poésie que nous propose ici BMC, de ceux dont on peine à sortir tant ils offrent de surprises.