Chronique

Jean-René Mourot & Claire Trouilloud

In Wonderland We Trust

Jean-René Mourot (p), Claire Trouilloud (voc)

Label / Distribution : Autoproduction

Jean-René Mourot aime les duos. De Michael Alizon à Bruno Tocanne, il a déjà démontré sa capacité à discuter à bâtons rompus, avec un goût crucial pour la liberté. L’univers du pianiste strasbourgeois est fortement marqué par la tradition de la musique écrite occidentale, sans pourtant en faire un carcan : c’est ce qui était le marqueur de Musique de Salon, son plus récent témoignage discographique en duo - encore - avec le bassiste Marc-Antoine Schmitt. Ici, dans In Wonderland We Trust, en compagnie de la jeune soprano Claire Trouilloud, c’est ce lien ténu qu’il exploite, avec une musicienne qui a elle-même un univers forgé aux contours de la musique contemporaine. On s’en apercevra rapidement dans cet exercice de visite de standards en attente de se faire déconstruire. Ainsi « Prelude to a Kiss », où la main gauche du pianiste est comme une glissière qui permet de parer tous les heurts et les circonvolutions de la chanteuse qui fait sien un matériel pourtant familier ; une possession qui tient souvent de la charmante bousculade.

« Alice in Wonderland » est convoquée très tôt dans l’album, dotée d’une certaine douceur et une proximité avec la lecture originelle et la patine sucrée à la Disney que ne lui conférait pas nécessairement Bill Evans ; dans le jeu de piste voulu par le duo, et dans l’approche très théâtrale de Trouilloud, ce n’est pas un mince indice. De l’infiniment petit de « Reaching For the Moon » où Mourot caresse le thème de son toucher soyeux, à l’explosion espiègle de « Take The A Train » tout en sprechgesang et lignes brisées, In Wonderland We Trust passe par de nombreux états créés par la fantaisie des approches communes. Le train de banlieue de Billy Strayhorn prend de plein fouet cette inattendue distorsion de la réalité - ou plutôt cette irruption d’une réalité parallèle qui aiguille les wagons sur un tout autre chemin de traverse, plein de folie et de créativité.

La personnalité musicale de Claire Trouilloud est franchement enthousiasmante. On la rapprochera de musiciennes comme Charlène Martin, tant dans la plasticité de la voix que dans cette capacité à jouer un rôle avec un plaisir enfantin. C’est dans « Cheek to Cheek », sans doute, que la prestation est la plus aboutie. La chanson de Top Hat est l’occasion de chalouper avec beaucoup de tendresse dans une sorte d’entre-deux, de beaux limbes où la chanteuse joue avec le rythme comme avec une balle de jonglage et oblige le pianiste à la suivre, dans une danse lascive. Une très belle promesse que ce nouveau pays des merveilles.…

par Franpi Barriaux // Publié le 2 octobre 2022
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