Chronique

Antonio Borghini

Banquet of Consequences

Antonio Borghini (b), Pierre Borel (as), Tobias Delius (ts), Anıl Eraslan (cello), Rieko Okuda (p), Steve Heather (dms)

Label / Distribution : We Insist !

Contrebassiste aussi discret qu’indispensable au sein de Die Hochstapler, l’une de ces belles surprises du jazz européen qui sait se renouveler, Antonio Borghini a partagé la scène avec la fine fleur de cette musique. De von Schlippenbach à Braxton en passant par Jeb Bishop et Gunter Sommer, la liste est ébouriffante. Archétype de l’artiste au service du collectif, il était temps que Borghini se livre davantage ; le sextet qu’il réunit pour ce Banquet of Consequences permet d’éclairer un univers et une façon d’aborder la musique. Essentiellement de manière libre, sans renier une forme d’histoire du jazz et ses racines profondes. C’est ce qui se joue dans « Umfundisi » [1] où la contrebasse, galvanisée par le violoncelle d’Anıl Eraslan, s’attaque au piano puissant de Rieko Okuda avant de filer, dans un mouvement collectif, vers des explosions de lyrisme où les soufflants s’époumonent.

Indéniablement, ce morceau est la quintessence de que recherche Borghini sur son album. Du banquet, on retient une forme de fête, une joie de se retrouver, un lieu où l’ivresse est une option convenable. Tout au long de l’album, on retrouve çà et là des fulgurances similaires, violoncelle et piano offrant un cadre structurant propice à toutes les ruptures (« Second Dialogue »), tandis que la batterie de Steve Heather sert souvent de régulateur, s’effaçant même lorsque les cordes s’entremêlent. Il ne faut pas s’attendre cependant à un ensemble turbulent et pétaradant ; les éclats existent, mais ils s’inscrivent dans une dynamique de groupe qui n’exclut pas une certaine noirceur à la limite de l’agressivité sur le très beau « Parade », sans doute le sommet de cet album.

S’entourant de ses camarades de jeu depuis longtemps, parmi lesquels Pierre Borel de Die Hochstapler est un soutien solide et virevoltant dans ses tentations colemaniennes, Antonio Borghini rassemble une belle brochette des musiciens qui gravitent autour de Berlin. Parmi eux Eraslan, du Trickster Orchestra, est certainement le plus impressionnant de ce disque (« A Banquet Song », où le sax ténor de Tobias Delius, entendu récemment avec Disorder at The Border, est le miroir parfait de Borel). Enregistré au Studio Zentrifuge de Berlin pour le label italien We Insist, Banquet of Consequences est une très belle surprise.

par Franpi Barriaux // Publié le 3 mars 2024
P.-S. :

[1Umfundisi est un mot zoulou signifiant pasteur. On le trouve dans le roman d’Alan Paton Pleure, ô pays bien aimé. Ce n’est pas la seule référence littéraire de ce disque : A Banquet of Consequences est le titre d’un roman policier d’Elizabeth George paru en 2015, et l’expression est tirée d’une citation de Stevenson « Sooner or later everyone sits down to a banquet of consequences ».