Chronique

Les Parlophones

Bulu-Fulassi

André Ze Jam Afane (voc), Daniel Erdmann (ts), Francis Le Bras (p, rhodes)

Label / Distribution : Vents d est

Dans Bulu-Fulassi, il y a avant tout la voix de Ze Jam Afane, poète d’origine camerounaise, une voix diaphane et veloutée qui contraste parfois avec la virulence des mots. Dans cette dichotomie entre slam et conte, dans ce débit presque tari, à la rythmique mystérieuse mais toujours efficace, se retrouve l’univers de Ze Jam, entre abstraction et réalisme politique (exposé avec un détachement poétique acéré), comme un éternel va et vient entre rêve et réalité.

Cette douce violence s’épanouit dans un texte comme « Alternance », où le conteur livre une description aussi clinique que mutine d’une Afrique accablée par la dictature mais toujours debout. Sa parole électrisée est accompagnée par le ténor duveteux de Daniel Erdmann et les impromptus du claviériste Francis Le Bras, qui se partage comme à son habitude entre piano et Fender Rhodes. Par endroits, des morceaux comme « Pastorale » ou « Cousine Marie », apportent l’apaisement. Le piano, contemplatif, égrène de rares notes sur un souffle étouffé de ténor. Erdmann investit le silence dans un registre très sensible, presque fragile, pour mettre en lumière les magnifiques textes du poète dans une atmosphère lumineuse et sereine. C’est avec une sincérité perceptible que ces deux complices à la fidélité ancienne, pleine de mystère et de subtilité, offrent une caisse de résonance amplifiée à la parole d’Afane, toujours d’une précision étudiée.

Membre comme ses comparses du collectif Vent d’Est, Ze Jam en a déjà côtoyé à l’occasion de deux albums [1] un autre : le violoncelliste Vincent Courtois. Lors de ce travail musical sur ses poésies et ses contes (bien loin des fadaises médiatiques qui accablent le slam francophone pour lui redonner sa raison d’être) se libérait une parole servie par une musique radicale et frondeuse. Avec ces Parlophones plus pointillistes, la continuité est illustrée par des morceaux comme « Le Haut-parleur » ou « La Chanson du colonisé », où le raffinement s’insère dans des interstices d’une élégante simplicité.

La collaboration de Ze Jam avec Vincent Courtois était très électrique, et élaborér de manière à s’appuyer sur le flow et l’impertinence. Avec ce disque-ci, il invente - tant dans les textes que les phrases musicales, parcimonieuses et abstraites- des évocations de l’Afrique et de sa colonisation mais aussi un humanisme en parabole, à fleur de ténor. « Respire » qui clôt l’album par un admirable solo de saxophone au bord du silence, entre souffle et cliquetis, en est l’exemple même. Ce climat distancié imprègne tout l’album, et la profondeur ne tient pas seulement aux mots, mais aussi à la cohérence et à la solidité de ce beau trio.