Sur la platine

Les œufs frais du label Yolk

Les récentes nouveautés du label nantais Yolk à découvrir


Fort d’une double décennie d’activité couronnée par une Victoire de la Musique en 2019, le label nantais Yolk fait aujourd’hui le pari du tout numérique en accès libre (ou quasiment). Il continue par ailleurs d’agrémenter son catalogue de nouvelles références, toujours attentif à illustrer le travail de musiciens à la démarche peu formatée.

Outre le nouveau Gros Cube d’Alban Darche dont nous avons vanté ici la qualité, trois “disques” numériques sont sortis sur bandcamp depuis l’automne dernier : deux duos et un trio.

NoSaxNoClar

Lauréat de Jazz Migration 2020, NoSax NoClar réunit Julien Stella et Bastien Weeger. Avec un art du contre-pied qui en fait d’emblée une formation intrigante, ce duo clarinette - saxophone est avant tout la rencontre des deux personnalités qui le composent. Entendus, voici quelques années au sein de Groove Catchers, ils développent une esthétique voyageuse dans laquelle on retrouve les parfums des musiques traditionnelles irlandaises, klezmer ou des Balkans.
Autant de thèmes immédiatement entraînants qui prennent place sur une solide assise rythmique sans être, tant s’en faut, une interprétation appliquée. Dans cette configuration minimale, la musique circule en permanence avec beaucoup d’engagement et sans virer à l’entre-soi. Les deux voix forment des unissons pleins et malgré un dispositif réduit, l’alternance des prises de parole se fait toujours dans un souci réussi du passage de témoin. Rien de binaire ici : de subtils entrelacs de la clarinette autour du saxophone et inversement sont servis par des sonorités claires de part et d’autre. Douceur et mordant au besoin, maîtrise de la nuance, le duo est convaincant et les musiciens à suivre.


Kiss the Joy / Santiago Quintans

Injustement passé inaperçu à sa sortie, ce disque, signé du plus français des guitaristes espagnols, Santiago Quintans, est pourtant une belle réussite. D’abord parce qu’il s’attache les talents de deux des personnalités du jazz manceau dont l’aura dépasse largement la cité sarthoise. Co-fondateur du label, Jean-Louis Pommier est au trombone et Matthieu Donarier, fidèle yolkien de la première heure, au saxophone. Les trois font valoir une entente fluide qui trouve ses origines dans une collaboration déjà ancienne du trio, doublée la complicité du duo Sun Dome que forment le saxophoniste et le guitariste.

À l’aise dans les configurations ouvertes (sa collaboration avec Ramón López en témoigne), Quintans signe aujourd’hui des compositions parfaitement construites qui reflètent le large éventail de sa créativité. Il appose sa touche sur des inspirations asiatiques (l’introduction “Laos”) ou monkiennes sur “Réflexif”. Ce n’est pourtant pas un exercice de style ; plutôt une envie de musique tous azimuts. La variété des atmosphères jusqu’aux confins du contemporain parachève l’étendue d’un territoire à la fois immédiat dans sa lecture et exigeant dans le soin porté à l’architecture des morceaux.

Les thèmes ne sont pas des prétextes mais induisent au contraire un parcours avec ses variations, ses mises en mouvement, sa dramaturgie. Les trois musiciens se plaisent à investir ce champ sonore avec sensibilité, jouant d’associations timbrales peu communes entre une guitare mordante ou coloriste et des soufflants échafaudant des échanges algébriques. L’attention portée aux contrastes et aux dynamiques fines sont ainsi les paramètres qui font de Kiss The Joy une rencontre de belle facture à la croisée de la matière et du sens.


Bricabracomaniacs / Daniel Erdmann Stéphane Payen

Sortie au mois de mars, Bricabracomaniacs grave la réunion déjà ancienne de Stéphane Payen et de Daniel Erdmann. On retrouve chez le second le son épais et chaleureux d’un ténor qui n’appartient qu’à lui tandis que l’alto du premier développe une sonorité plus acérée et droite. Ces deux approches complémentaires permettent d’investir une large étendue de l’espace sonore de manière équilibrée avec immédiateté et une volupté contenue.

A partir de compositions signées de chacun (on retrouve “Hijacking” du duo de Payen et Guillaume Orti ainsi que “Les Frigos”, déjà entendu dans Velvet Revolution, le trio d’Erdmann avec Théo Ceccaldi et Jim Hart), les deux saxophonistes s’attachent à défendre les reliefs mélodiques en cherchant à les déstructurer délicatement et sans violence. Il ne s’agit pas de s’engager sur des terres à explorer à partir d’un thème de départ mais d’en extraire le maximum de sens en misant sur la puissance évocatoire et en donnant ce qu’il est coutume de nommer une interprétation. Privilégiant le less is more, les deux musiciens, matures dans leur pratique, jouent élégamment de finesse et d’un sens poussé de l’écoute. Éviter la redite ou le surlignage de ce que l’autre vient de dire au bénéfice d’une ornementation réduite parfois à sa plus simple expression : la musique gagne en respiration comme en intelligence et donne au duo une forme nue à la fois pudique et sensuelle.