Chronique

Magma

Slag Tanz

Stella Vander (voc), Isabelle Feuillebois (voc), Hervé Aknin (voc), Benoît Alziary (vib), James Mac Gaw (g), Jérémie Ternoy (p, Rhodes), Philippe Bussonnet (elb), Christian Vander (dms, p, voc).

Label / Distribution : Seventh Records

Sacré Christian Vander ! Les plus anciens d’entre nous se rappellent que dans les années 70, le leader de Magma déplorait le format contraignant du 33 tours, peu propice au déploiement d’une œuvre d’une durée de deux heures qu’il imaginait mal découpée en séquences de vingt minutes. A cette époque lointaine, il évoquait Ëmëhntëhtt-Ré, trilogie composée entre 1973 et 1975 qui finira par voir le jour sous la forme de trois disques dont la chronologie n’appartient qu’à la planète Kobaïa [1]. Mais beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, Magma a continué son chemin, remettant au besoin, depuis une vingtaine d’années, de l’ordre dans une discographie soumise aux soubresauts des impératifs économiques et parfois contrariée par des changements de personnel. Aujourd’hui, le groupe semble avoir tourné la page de ce passé un peu désordonné pour regarder vers l’avant. Et curieusement, alors qu’un CD peut contenir jusqu’à 80 min de musique, Magma publie aujourd’hui des disques au format très court ! 32 min pour Félicité Thösz (2012), 24 min pour Rïah Sahïltaahk [2] et à peine 21 min pour Slag Tanz, publié au mois de janvier. Mais, faut-il regretter une telle brièveté ? Pas forcément...

Slag Tang est une composition en huit mouvements que Magma interprète sur scène depuis environ six ans, période durant laquelle Vander en a peaufiné les contours, et qu’il a complétée petit à petit. La version définitive, proposée en CD et... en vinyle (amusant retour aux sources), et enregistrée entre septembre 2013 et septembre 2014, s’inscrit pleinement dans l’idiome magmaïen. Tout commence par un appel vibrant, une sorte d’incantation, qui va céder la place à une avancée implacable dont la tension ne retombera pas un seul instant, jusqu’à un final sombre en forme de requiem où les voix, comme soudées aux accords plaqués au piano, évoquent une « âme blessée qui tonne au ciel ». Il faut reconnaître à Vander la faculté singulière d’échafauder une dramaturgie hypnotique se déployant tout autant par la puissance qui l’anime depuis les origines, exprimée par un jeu de batterie hors du commun, que par le recours à des motifs vocaux au sein desquels les voix féminines occupent une place de choix et s’offrent comme des respirations dans un univers souvent oppressant. Black is Beautiful, comme la pochette dont l’outrenoir pourrait être un parent proche de celui de Pierre Soulages. Et si le Kobaïen demeure le langage premier de Slag Tanz, on soulignera la présence assez importante de textes en français dont la poésie et les thèmes récurrents (la nuit, les cloches, les oiseaux) échapperont peut-être au commun des mortels, mais certainement pas aux exégètes de la cosmogonie vandérienne. Bien sûr, tout cela passe très vite – on souhaiterait que certains moments durent un peu plus longtemps, tel le magnifique duo basse - batterie au début de « Zü Zaïn ! », mais il faut se rendre à l’évidence : 45 ans après sa naissance, à défaut d’écrire un nouveau chapitre de son histoire, Magma est en forme, au point que le groupe s’apprête à s’engager en 2015 dans une tournée mondiale telle qu’il n’en a pas connue depuis bien longtemps.

Pour la suite, Christian Vander évoque régulièrement une « nouvelle musique ». Mais en attendant de la découvrir, on savourera volontiers ce nouveau disque qui peut aussi constituer, par son énergie très concentrée, une bonne porte d’entrée dans un univers décidément pas comme les autres.

par Denis Desassis // Publié le 9 mars 2015
P.-S. :

[1Les trois volets de cette trilogie ont pour nom K.A (2004), Köhntarkösz (1974) et Ëmëhntëhtt-Ré (2009). Rappelons que des fragments du troisième volet avaient été livrés au public de façon éparse sur Magma Live (1975), Üdü Wüdü (1976) et Attahk (1978).

[2Nouvel enregistrement en 2014 d’un morceau de 1001° centigrades, deuxième disque de Magma en 1971, dont les arrangements ne satisfaisaient pas Christian Vander.