Chronique

Mariétan / Rosilio / Raffin

Fisheye

Thierry Mariétan (g), Yoram Rosilio (b), Benoist Raffin (dms)

Label / Distribution : Le Fondeur de Son

En photographie, le Fisheye est un objectif très grand angle qui embrasse tout un paysage, au risque d’une déformation concave avec laquelle on peut jouer pour pointer un axe ou engendrer une atmosphère étrange. Le trio du guitariste Thierry Mariétan s’est donné ce nom en connaissance de cause : il suffit pour s’en convaincre de se laisser submerger par « Panorama paranormal », oùl’orchestre visite en une vingtaine de minutes toutes sortes de topographies. En quelques instants, on passe des plus hauts dénivelés où la guitare rugit aux côtés d’une base rythmique galvanisée proche du précipice, à une déconstruction habile, digne de la plus lente des érosions, où chaque geste sur le chevalet, les cordes ou le manche de la guitare est érodé par la contrebasse irréfragable de Yoram Rosilio et la batterie de Benoist Raffin, unis sans faille tout au long de l’album.

Mariétan est lui aussi contrebassiste, même s’il n’est ici qu’à la guitare. On l’avait connu aux deux sur Krisis, un album précédent où l’on retrouvait Paul Wacrenier et Alexandra Grimal. On perçoit néanmoins qu’il n’a pas abandonné ses réflexes, à l’instar de Joe Morris, autre musicien intervenant sur ces instruments. Son approche de la six-cordes est sèche, économe de gestes, globalement très portée sur la pulsation et aime parfois caresser quelques plaisirs microtonaux, notamment dans « Inconscience-catastrophe-double conscience ». Ce court titre offre une perspective où les doigts glissent sur les frettes comme en miroir de la contrebasse dans un ostinato plein d’acidité, découpé par les cymbales agressives de Raffin.

On trouve dans Fisheye une réelle unité, un orchestre sans fioriture qui va droit au but mais n’en oublie pas pourtant les enluminures, comme autant de contextualisations. Ces improvisateurs rythmiciens multiplient les clins d’œil (de poisson, évidemment) à un certain free jazz auquel ils ont été manifestement biberonnés. Ainsi, ici, on ne jette pas de girafes à la mer, comme ce fut le cas par ailleurs, on ne lutte pas non plus contre le franquisme, mais on écrit des « Chants sous la dictature du Zouk Love », ce qui, quand on y réfléchit, représente surement l’un des plus redoutables cercles de l’enfer. On retrouve ici l’influence de Rosilio qui, loin de son ARBF, occupe un rôle de vigie qui lui sied tout autant. Fisheye est une optique déformante qui permet de retrouver l’acuité. Cela tient sans doute à l’art de cultiver les paradoxes.