Chronique

Montgomery/Scemama/Sieger/Frye/Bitney

Crying Out Loud

Simon Sieger (voc, tb, cla), Rob Frye (objets, elec, ss), Olivia Scemama (b, elec, fx), JayVe Montgomery (ts, as, voc), Dan Bitney (dms)

Label / Distribution : The Bridge Sessions

Sous l’égide de Sun Ra avec quelques allusions à Pierre Kropotkine sur la pochette, le quintet issu de la session 14 de The Bridge ne prend pas le mot liberté à la légère. Toujours axé sur la rencontre transatlantique, Crying Out Loud offre un matériel assez particulier, fruit de la plongée spéléologique et parfois à courant contraire dans les archives sonores de Sun Ra à Chicago. Côté européen, on trouve dans l’orchestre le multi-instrumentiste Simon Sieger, qu’on a entendu au trombone dans l’orchestre d’Archie Shepp, mais qui fait preuve ici d’un toucher remarqué au piano, notamment sur « Get up And Walk, Spirit, Fly », ouverture roborative d’un album où la dynamique collective et sa belle entropie est au centre de tout. A ses côtés, on retrouve la remarquable bassiste Olivia Scemama, aperçue au sein de Tribalism3 et membre du Collectif 2035 ; son électricité percluse d’effets permet toutes les audaces, comme sur le cryptique « Our Spaceship is Ignored », véritable voyage temporel où les trouvailles synthétiques de Rob Frye et la batterie aux aguets de Dan Bitney sont de fameux véhicules.

Car côté étasunien, la distribution est aussi de belle facture. Au centre de l’orchestre sans pourtant tirer la couverture à lui, Dan Bitney, ancien de Tortoise, ouvre tout azimut les chemins possibles. Les boussoles s’affolent, et de la spiritualité profuse de « What is God ? », témoin de l’identité d’un orchestre en construction permanente, à la puissance extatique de « Is This Your Nation ? » où brille le saxophoniste JayVe Montgomery, on perçoit que toutes les questions deviennent des directions dans lesquelles l’orchestre s’engouffre. Rob Frye est un bel architecte qui construit des châteaux comme des cabanes dans les arbres, à partir de rien : l’ombre de Sun Ra n’est ni un mirage, ni un hommage. C’est un matériel qui permet de construire son propre biotope, une ZAD musicale.

Lorsqu’ils étaient venus à Rouen à l’automne dernier, le quintet de Crying Out Loud avait déjà fait évoluer son jeu et son espace. JayVe Montgomery portait la voix, on retrouvait aussi l’approche rugueuse du saxophone que l’on peut entendre ici dans le remarquable « They Will March ». Ces musiciens se sont trouvés. Des personnalités comme Sieger et Frye, capables de multiplier les interventions et les sons comme autant de masques, sont un liant indéniable. Crying Out Loud est un objet comme on aime les trouver, protéiforme et plein de promesses.

par Franpi Barriaux // Publié le 19 décembre 2021
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