Chronique

Mario Canonge

Zouk Out

Mario Canonge (p, perc, voc), Michel Alibo (b, perc, voc), Arnaud Dolmen (dm, perc, voc), Adriano Tenorio (perc)

Label / Distribution : PIAS

Le pianiste martiniquais, qui nous avait charmé ces derniers temps dans ses duos endiablés avec le contrebassiste Michel Zenino, prend le petit monde du jazz à contre-pied avec un essai consacré au Zouk. Car, oui, cette musique de variété antillaise mérite bien une majuscule, tend elle se pare de majesté sous l’effet de ses quatre-vingt-huit touches.
Son jeu alizéen, paré de thèmes et chorus flamboyants, traverse les onze compositions de cet album. Un toucher éminemment sensuel chargé d’effluves poétiques caraïbes, marqué par une virtuosité au service d’un hommage à une musique populaire trop souvent dédaignée : tel est le programme que se fixe Mario Canonge.

S’il connaît et reconnaît l’apport des musiques antillaises au jazz, ce dernier ne sombre pas pour autant dans la déploration lorsqu’il décide de s’emparer du Zouk. Bien au contraire, il malaxe cette musique de bal populaire dans un ensemble cohérent de bout en bout, à la fois très dansant et captivant pour l’auditeur (bien que l’on mette ce dernier au défi de ne pas se trémousser sur ces rythmes créoles). Réminiscences de rituels d’effervescence collective (« Karnaval Blues »), séquence de marronnage (« Murmures rebelles » : belle fugue évoquant la fuite de ses ancêtres esclaves hors de l’enfer des plantations ?)… oui, le propos de Canonge a quelque chose de politique. Non sans une bonne dose d’amour (« Se Ou Mwen Le » magnifiquement chanté par Annick Tangora), voire d’humour (« Shaft Blues » et son riff funky comme un hommage au détective black ?).

Pour l’aventure, il a convoqué un groupe résolument archipélagique, restituant par là quelque chose de la pensée du Tout-Monde d’Edouard Glissant, notamment quant aux tremblements de plaisir qui en découlent. A la basse électrique, le maître de l’instrument Michel Alibo délivre un groove félin, faisant ronronner son instrument de plaisir, cependant que le jeune batteur « qui monte » Arnaud Dolmen fourbit des rythmes extatiques, renforcés par les percussions insulaires d’Adriano Tenorio. Avec une pléthore d’invités (entre autres un redoutable harmoniciste, Laurent Maur, et le saxophoniste Ricardo Izquierdo, avec qui il avait parcouru les scènes d’Amérique du Sud), Mario Canonge décolonialise le Zouk pour notre plus grand plaisir.

par Laurent Dussutour // Publié le 21 avril 2019
P.-S. :

Avec : Annick Tangora, Laurent Maur, etc.