Chronique

Matthieu Mazué Trio

We stay still

Matthieu Mazué (p), Xaver Ruëgg (cb), Michal Cina (dm)

Label / Distribution : Jazzdor Series

Se positionnant clairement dans le prolongement de Mal Waldron (comme le soulignent les notes de pochette), Paul Bley ou, plus proche d’ici, Stéphan Oliva - ces poètes du clavier qui distillent des harmonies savantes sur des espaces-temps qu’ils remodèlent au fur et à mesure de leur discours, Mathieu Mazué, trentenaire français qui construit sa vie professionnelle en Suisse, propose avec ce disque un trio d’une grande maturité.

Entouré de partenaires avec qui il évolue depuis quelque temps maintenant, gage d’une complicité évidente dans la production de leur musique, il donne à entendre des compositions personnelles qui posent des climats crépusculaires et capiteux. À partir de structures savamment architecturées dans lesquelles s’enchâssent des développements en diagonale, il joue le jeu de la déconstruction dès lors qu’il se lance dans des improvisations qui participent pleinement à l’édification de l’ensemble. Le positionnement adopté par la basse et la batterie permet au corps musical de prendre son autonomie en libérant une forme qui y gagne en expressivité.

Ainsi, la batterie de Michael Cina ne marque pas le temps mais s’exerce à placer des accents non convenus pour dérouter le sens du propos, tandis que la basse de Xaver Rüegg, dans le même ordre d’idées, oriente les mélodies ou se fait le centre d’une gravité qu’elle absorbe avec force. Mazué, de son côté, parsème son clavier d’étincelles dissonantes ou déploie des phrasés qui investissent les parties graves comme les plus hautes avec une envie de poser une dramaturgie.

Par ces approches spatialisées, le trio entre dans le cœur de la matière avec obstination et fait surgir des affects chargés d’émotivité. Si l’on peut, à ce sujet, souhaiter parfois un besoin d’assouplissement dans la radicalité du geste, les prochaines propositions de ce trio seront à suivre avec attention ; il est fort probable que ce pianiste n’en restera pas là dans ses investigations.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 16 avril 2023
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