Portrait

Sylvaine Hélary, la scintillante

Le nouveau disque de Sylvaine Hélary, Glowing Life, invite à un voyage atypique et onirique.


Sylvaine Hélary, photo Michel Laborde

A la tête d’une formation qui la suit dans les méandres de son imaginaire, la flûtiste et parfois chanteuse déroule, en effet, un répertoire à la croisée d’esthétiques variées qui définissent surtout l’originalité de son terrain de jeu.

Les deux dernières productions discographiques de Sylvaine Hélary s’étaient faites sous l’étiquette de son groupe Spring Roll. L’écriture élégante faisait la part belle à une approche abstraite savamment distanciée. Pourtant, Sylvaine Hélary n’est pas à ranger du côté des instrumentistes cérébrales au registre abscons. Dans le même temps, et de manière complémentaire, la flûtiste dirigeait une autre formation à l’approche plus spontanée qu’elle donne à entendre aujourd’hui sur le disque paru sur Ayler Records. Je souhaitais, dit-elle, écrire une suite de morceaux qui propose comme un road-movie au milieu d’un monde inconnu, tantôt phosphorescent, tantôt rugueux ou encore crépitant.

Le groupe réunit Antonin Rayon à l’orgue, partenaire depuis de nombreuses années, et le batteur Christophe Lavergne dont on connaît la capacité à se prêter à toutes les propositions avec la même justesse. Cette approche est dans la veine de celle de mon trio avec Antonin Rayon et Emmanuel Scarpa. Je renoue également avec une vieille envie de faire coexister des grooves parfois complexes, une certaine densité harmonique, des mots et de la flûte plus électrique. C’est pourtant la présence du quatrième et dernier membre, Benjamin Glibert, guitariste et bassiste électrique entendu notamment chez Aquaserge, qui conduit la formation vers un ailleurs et lui permet d’élargir un spectre au-delà du champ proprement jazz. Sylvaine Hélary confirme : En invitant Benjamin, j’ai eu envie de me rapprocher d’un son plus « Canterburry » que celui de mon trio. C’est le roi du rock progressif, il a notamment un son de basse que l’on trouve moins communément parmi les musiciens français.

De fait, cet assemblage de personnalités produit une couleur d’ensemble originale. Tour à tour caressants et hypnotiques ou, dans la foulée, hargneux et mobiles, les climats sont variables. La basse et l’orgue apportent beaucoup de chaleur et d’épaisseur tandis que la guitare traverse les morceaux avec des riffs mordants en s’appuyant sur une batterie solide et oblique. Par-dessus ce tapis mobile, la flûte rêveuse de Sylvaine Hélary tire l’ensemble vers un au-delà des nuages. J’aime les arcs-en-ciel, j’ai voulu que la musique soit éclairée de manière changeante. Mais il n’est pas question d’un éventail de styles, la musique vient à moi sans préjugés ni références trop ciblées. J’agis à partir d’un terrain sensible avant tout. Le résultat est le fruit d’une étroite collaboration avec les musiciens du groupe. Je préfère réfléchir en termes de timbres, sons, énergies, nécessités… Je ne crains pas grand chose, j’aime les surprises, les sursauts, les virages… comme dans la vie.

Le disque s’écoute comme une longue promenade divagante durant laquelle les moments inattendus confèrent une saveur particulière au répertoire en son entier. Nous sommes loin ici d’un montage traditionnel ; la succession de titres de longueur variable entraîne l’oreille dans des atmosphères langoureuses ou corrosives dont les enchaînements, s’ils peuvent surprendre, réactivent l’attention avec une beaucoup de magie. La structure générale s’est faite d’elle-même, comme s’il y avait eu un rythme inconscient de construction de l’ensemble, sans que j’y puisse grand chose. J’ai essayé de mettre les morceaux dans des ordres différents, mais rien à faire, celui retenu, le premier à être apparu, était le bon. Stéphane Berland (du label Ayler Records), en qui j’ai une confiance aveugle, a d’ailleurs tout de suite validé cette proposition !

Autre spécificité : la place accordée à la voix et au texte. Sylvaine Hélary, chante, depuis longtemps, et intègre naturellement cette pratique dans son univers. Je considère la voix comme un prolongement de mon expression aux flûtes traversières. Le contexte pop du répertoire m’a permis d’avancer sur ce terrain avec l’aide précieuse, d’ailleurs, de Sarah Murcia qui m’a coachée sur une séance de prise de voix [1] . Quant aux mots, même s’ils sont abordés principalement dans leur dimension acoustique, ils ont aussi leur importance et ouvrent sur des effets de sens évocatoire. Le réussi “Thinking to Dance” trouve ainsi sa force dans un texte d’Eric Vuillard que Sylvaine Hélary récite avec beaucoup de conviction en le déconstruisant astucieusement.

Sylvaine Hélary, phtoto Michel Laborde

Plus loin, c’est un texte de PJ Harvey qui sert de support à l’envolée instrumentale. Il s’agit d’un poème tiré d’un recueil qu’elle a écrit lors d’un voyage (au Kosovo, en Afghanistan et à Washington DC.). Il fait appel à ses dons de poétesse plus que de musicienne et n’a jamais été mis en son. Je m’y suis essayée, à ma façon, en me disant qu’elle n’aurait sûrement pas fait ainsi. J’ai aimé le saut imaginaire que cela procurait. PJ Harvey était, malgré tout, beaucoup avec moi, vu que c’est la chanteuse que j’ai le plus écoutée ! Je songe d’ailleurs à lui commander quelques poèmes pour un futur grand ensemble que je devrais créer en 2022, si tout se passe comme prévu…

En intégrant de multiples influences qui vont du contemporain au rock, en se laissant gagner, surtout, par ce qu’elles peuvent produire comme images mentales et sonores, Sylvaine Hélary fait remonter à la surface un inconscient musical au plus proche de ce qu’elle est et de ce vers quoi elle tend. Glowing Life peut se traduire par « Vie Scintillante » à l’image de ce que je cherche. C’est prometteur d’un avenir que je souhaite radieux… J’attache une grande importance à la pratique collective de la musique, à l’idée de fabriquer ensemble des mondes sonores vibrants et poétiques. J’aime réfléchir à la position que nous occupons sur cette planète et au rôle que nous pouvons y jouer en tant qu’artistes. A l’image en somme du monde phosphorescent des planctons dont une photo orne la pochette. Elle est titrée du magnifique livre Chroniques du plancton de Christian Sardet et les Macronautes. Elles sont à mes yeux en parfaite résonance avec l’idée de se regrouper pour inventer, d’êtres lumineux qui se côtoient, de mondes à habiter…