Chronique

Ingrid Laubrock Andy Milne

Fragile

Label / Distribution : Intakt Records

La parcimonie de la production discographique du pianiste canadien Andy Milne est bien regrettable, tant ce musicien développe un jeu personnel aux nombreuses qualités. On le connut naguère au côté de Steve Coleman, notamment dans le live Resistance is Futile paru sur Label Bleu (enregistré à Montpellier), ou encore pour un disque resté dans les mémoires les plus attentives : Where is Pannonica ? au côté du français Benoît Delbecq. Les deux pianistes y présentaient une forme de gémellité dans leur pratique. Un art du raffinement où la retenue est l’expression d’un geste réfléchi. A cette intelligence du jeu s’ajoutait un goût pour la culture pianistique dans ce qu’elle a de large et de contemporain, qui faisait de cet album l’une des pièces maîtresses d’une musique de notre temps.

C’est donc avec plaisir que nous le retrouvons ici, sans Delbecq certes mais au côté d’Ingrid Laubrock. En dix pistes signées de la saxophoniste, le duo s’engage dans un échange maîtrisé où flirte une forme d’abstraction qui n’a rien de sévère. Au contraire, la délicatesse des deux sonorités, associée à une grande précision dans les propositions, permet de dégager une dynamique qui fait la part belle à l’espace. De là d’ailleurs un déroulement narratif qui, à chaque composition, prend le temps de poser une coloration particulière avant de développer une architecture complexe mais justifiée par un échafaudage minutieux.

Au sein de ces constructions, des rebonds, des renvois, des échos, laissent entendre une connivence acrobatique entre les deux musiciens - et le plaisir d’un dialogue de haute tenue. Malgré cette gymnastique intellectuelle qui pourrait tourner à vide, la musique produite traverse de nombreux états et semble comme s’amuser avec des idées devenues sons et qui s’animent dans nos oreilles avec une grâce enlevée.

par Nicolas Dourlhès // Publié le 6 novembre 2022
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