Chronique

Carrier / Lambert / Edwards / von Schlippenbach

Unwalled

Label / Distribution : Fundacja Słuchaj

François Carrier et Michel Lambert ont toujours été globe-trotters [1]. Leurs voyages les ont souvent conduits en Europe où, de la Russie à la banlieue de Londres, leur musique libre et farouche a toujours résonné de la plus belle des façons. La force de l’intimité n’est pas celle de l’habitude : entre le saxophone alto et le batteur si musical, il y a des traits communs, des lignes régulièrement crayonnées, mais toujours de la nouveauté et de l’inédit. Avec le présent quartet, la doublette canadienne retrouve une vieille connaissance à la contrebasse. John Edwards tourne avec Carrier et Lambert depuis plus de dix ans : la relation entre la batterie de Michel Lambert et le Britannique est d’une fluidité rare. On entend, au sein de « Unwalled », le morceau-titre, un dialogue fugace et d’une rare intensité. Il y a une vraie urgence dans ce nouvel orchestre ; elle tient beaucoup au jeu très impulsif de François Carrier, mais également à l’identité du dernier membre du quartet, le pianiste Alexander von Schlippenbach, figure tutélaire évidente de toute cette scène.

La rencontre est explosive et d’une grande élégance, à l’image de « The Play of What is » que le pianiste commence dans un dialogue à petites touches avec le saxophone, avant de laisser l’archet d’Edwards encadrer les débats. Le résultat est à la fois plein de douceur et d’incertitude ; tout peut basculer à chaque instant, s’échauffer voire se consumer lorsque le saxophone devient plus dur. Et puis revenir à un calme instable dès que la contrebasse reprend le dessus. Rien n’est définitif : il y a une synergie qui offre toutes les mutations possibles, et le goût pour l’immédiateté. Lorsque Alexander von Schlippenbach prend le dessus, un dialogue nerveux se crée avec la batterie de Lambert. La relation entre ces deux-là met le feu aux poudres. C’est le cœur de « Yes Road », l’un des morceaux les plus tendus de ce Unwalled.

Plus qu’un évènement, la rencontre entre les brillants voyageurs canadiens et la légende de la musique improvisée européenne, ce disque paru presque naturellement sur le label polonais de la Fundacja Słuchaj consacre aussi la régularité du duo Lambert et Carrier. Lorsqu’on écoute « Yes Road », mais surtout « Empty Mess », on peut juger de la qualité de leurs échanges. La structure même du quartet est un gage de liberté pour François Carrier. Davantage que dans d’autres formations, il souffle un vent furieux sur ce très bel album, marqué par la magie de la fidélité. Un enregistrement remarquable.

par Franpi Barriaux // Publié le 16 avril 2023
P.-S. :

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