Chronique

Michel Reis

Hidden Meaning

Stefan Karl Schmid (ts, ss, cl), Michel Reis (p), Robert Landfermann, Jonas Burgwinkel (dms)

Label / Distribution : Double Moon

Nous évoquions il y a quelques mois Michel Reis à l’occasion de la sortie du disque Reis/Demuth/Wiltgen. Pour Hidden Meaning, antérieur à l’enregistrement réalisé par le trio luxembourgeois pour le label Laborie, le pianiste s’entoure d’un quartet allemand de tout premier ordre. Paru chez Double Moon, le disque met en avant les qualités mélodiques du pianiste, qui trouvent un écho dans le lyrisme parfois tumultueux de Stefan Karl Schmid tandis que sautent aux oreilles ses affinités rythmiques avec l’excellent tandem Robert Landfermann / Jonas Burgwinkel.

À l’auditeur de trouver le sens caché de la musique auquel fait allusion le titre de l’album. Les compositions de Reis s’appréhendent avec facilité. Pour peu qu’on s’y abandonne, toutes ont, au fond d’elles-mêmes, une petite porte dérobée qui s’ouvre sur la grande page blanche de notre imaginaire, celui-ci étant constamment stimulé par les variations d’intensité nées de l’interaction qui sous-tend les développements collectifs.

Landfermann et Burgwinkel se connaissent bien puisqu’ils occupent le socle rythmique au sein de différentes formations, de Pablo Held, Sebastian Gilleou Peter Ehwald en passant par le guitariste belge Frederik Leroux. Cette connivence engendre évidemment une empathie musicale dont jouit le quartet, de fait propulsé, soutenu, voire soulevé par cette rythmique intelligente et créative qui réussit à allier art délicat, pulsation et ornement avec un égal sens de l’à-propos. Les motifs de piano, souvent cycliques et dynamiques, autours desquels Michel Reis pense ses compositions font corps avec ce ballet de frappes chantantes et de notes graves et s’appuient sur lui pour libérer les volutes de notes perlées qui semblent en être une excroissance naturelle. Stefan Karl Schmid, lui aussi épatant dans le foisonnement comme dans l’épure, met souvent en place avec le pianiste un jeu de miroirs, l’un reprenant au vol une proposition mélodique de l’autre avant de lui proposer lui-même des pistes à explorer. Tous ces éléments conjugués assurent à la musique une continuité et une cohérence qui renforcent son aspect cinématique.

La formation s’accomplit tout autant dans la suavité d’une sublime ballade (« Elegy ») que dans l’épaisseur des appuis rythmiques prononcés (« Seduction »), et fait montre tout au long du disque de souplesse et d’inspiration. Les registres explorés incitent tour à tour au songe ou au mouvement, mais on reste constamment sous l’emprise de ces pièces narratives et romantiques. Ainsi la mélodie d’« Americana » s’imprime dans notre esprit de manière durable et favorise, par sa construction harmonique, les chorus scénarisés. La multitude de sonorités que le batteur tire de ses fûts, cymbales et objets, ainsi que la partition dégingandée de piano confèrent au bien nommé « Haunted House » une poésie mystérieuse. Les tempos médiums permettent aux musiciens (cf « What Comes Later, I Can Think About Later » ou « The Birdwatcher »), de laisser osciller l’énergie déployée dans un mélange de verve et de retenue, entre larges espaces et sages embardées. Mais si le disque dans sa globalité est de ceux que l’on recommande sans réserve, il contient quelques morceaux qui à eux seuls en rendent l’écoute indispensable. Citons « Repercussions », pièce délicatement ouvragée au sein de laquelle le quartet s’auto-alimente par une écoute réciproque attentive, « Hidden Meaning », errance baignée d’une lumière voilée, la merveilleuse « Elegy » précédemment citée ou « Until The Next Time », dont le titre laisse augurer d’une bonne nouvelle à venir. Pour l’heure, il y a ici suffisamment de matière pour ne pas avoir à s’impatienter.