Sur la platine

Noah Howard Live in Europe Vol. 1

Parmi les légendes du free jazz, Noah Howard fait figure d’oublié.


Parmi les légendes du free jazz, Noah Howard fait figure d’oublié. A côté des Ornette Coleman, Albert Ayler ou autres Archie Shepp, le saxophoniste alto n’apparaît que comme un second couteau, peu cité dans les ouvrages se rapportant au jazz et même au free jazz. Il est pourtant un acteur majeur de ce que l’on a appelé, dans les années 60 et 70, la New Thing.
Le label Sconsolato vient de rééditer en vinyle l’album Live in Europe Vol. 1 du saxophoniste Noah Howard, sorti en 1975. A cette occasion, retour sur le parcours qui le mena à l’enregistrement de cet album majeur.

Né le 6 avril 1943 à La Nouvelle-Orléans, Noah Howard étudie la trompette puis le saxophone. Il s’installe à New York en 1965 et commence à jouer avec la scène free alors émergente. Grâce à l’entremise d’Albert Ayler himself, avec qui il s’était lié d’amitié, il enregistre en janvier 1966 son premier album en leader sur le label ESP [1], intitulé sobrement Noah Howard Quartet avec Scotty Holt à la contrebasse, Dave Grant aux percussions et Ric Colbeck à la trompette.

A la fin de l’année 1966, il sort un deuxième album, toujours chez ESP, Noah Howard at Judson Hall. Captation d’un concert, cet album est enregistré en sextet avec Ric Colbeck, le pianiste Dave Burrell, le contrebassiste Norris Jones, le percussionniste Bobby Kapp et la violoncelliste Catherine Norris. Composé de deux longs morceaux de près de 19 minutes chacun, on y retrouve toute la fougue de cette période ultra-créative, notamment dans le deuxième titre « Homage to Coltrane ». Après une longue introduction aux douces dissonances, jouée aux archets par le duo contrebasse/violoncelle, la musique s’engage sur un tempo envoûtant (soutenu par les brisures du violoncelle et les notes aiguës martelées par le piano) et laisse les deux souffleurs soliloquer à leur guise, le morceau progressant vers un déluge free pour s’achever dans les cris suraigus du saxophoniste.

L’année 1969 est une année importante pour Noah Howard. Il enregistre à New York son troisième album personnel Black Ark (Freedom Records, sorti en France en 1974) avec notamment le saxophoniste ténor Arthur Doyle et le trompettiste Earl Cross. L’album ne sortira aux Etats-Unis qu’en 1972, ce qui agacera Howard et le laissera frustré du manque d’implication de son label.

Il décide alors de partir en Europe rejoindre ses nombreux compatriotes expatriés. Durant les quelques mois qu’il passe à Paris, il participe à l’enregistrement de plusieurs albums réalisés par des musiciens d’avant-garde : le saxophoniste Frank Wright et son quartet sans contrebasse où figure le pianiste Bobby Few et où alternent les batteurs Art Taylor et Muhammad Ali (One For John, 1970, BYG Records ; Uhuru Na Umoja, 1970, America Records, entièrement composé par Howard et Church Number Nine, 1973, Calumet) et le légendaire Archie Shepp (Black Gipsy, 1970, America Records et Pitchin Can, 1970, America Records). Il enregistre également un autre album sous son nom, Space Dimension (1970, America Records), avec les musiciens de Wright et Wright lui-même.

De retour à New York au milieu de l’année 1970, il fonde la NYMO (New York Musicians’ Organisation) qui fédère, autour de la défense de leurs intérêts, de nombreux musiciens de la scène free. Il crée son propre label l’année suivante qu’il baptisera, comme un clin d’œil à son instrument de prédilection, Altsax Records. Il y enregistrera la plupart de ses futurs albums dont l’inaugural Patterns, enregistré aux Pays-Bas en octobre 1971 avec Han Bennink et Misha Mengelberg. Il enregistre en suivant Live At The Village Vanguard à l’été 1972 avec notamment le saxophoniste Franck Lowe et le batteur Rashied Ali (frère de Muhammad et futur batteur du Coltrane free).

Noah Howard est le chantre d’un free qu’on pourrait qualifier de spirituel

A partir de 1973, il voyage en Europe, s’installe en France, joue en Italie, en Allemagne, en France notamment. Certains de ces concerts seront enregistrés sur différents labels comme le beau Live at The Swing Club à Turin.

Enfin, en 1975, sort Live in Europe Vol.1 [2] Il documente plusieurs concerts enregistrés dans différentes villes d’Europe avec le quartet d’Howard, soit Takashi Kako au piano, Kent Carter à la contrebasse et Muhammad Ali à la batterie (sauf sur « Olé » où il est remplacé par Oliver Johnson).
C’est cet album qui est donc réédité aujourd’hui par le label Sconsolato.

L’album s’ouvre sur « Creole Girl », composition aux accents caribéens qui débute par un riff faisant vaguement penser au « Maiden Voyage » de Herbie Hancock. Le tempo s’accélère ensuite pour laisser place aux tourneries excentriques d’Howard puis à un intéressant solo du contrebassiste Kent Carter. « New Arrival », seule compositon du saxophoniste, est un morceau assez poignant où le saxophone de Howard se fait tour à tour lyrique ou violent. Vient ensuite le très solennel « Lift Every Voice And Sing », hymne revendiqué des afro-américains, repris avec beaucoup de dévotion et d’humilité par le quartet. La reprise de « Olé », tumultueuse et passionnée, est autant un hommage au Coltrane saxophoniste (influence assumée de Howard) qu’au Coltrane militant. « Kanpai » clôture l’album dans un grand feu d’artifice d’émotions et finit d’emporter l’adhésion.

Même si la prise de son n’est pas toujours parfaite, il se dégage de cette musique une grande humanité. Avec son vibrato caractéristique et ses arabesques acérées, Noah Howard est le chantre d’un free qu’on pourrait qualifier de spirituel. Habitée, lyrique, presque charnelle, sa musique sonde la culture afro-américaine avec un profond respect, transcendant l’héritage des grands anciens, et affirme avec solennité et fierté l’identité du peuple noir et de ses musiques.

par Julien Aunos // Publié le 7 juin 2020

[1Alors jeune label fondé en 1963 par l’avocat Bernard Stollman, qui enregistrera, dans les décennies 60 et 70 de nombreux musiciens de l’avant-garde.

[2Ce qui constituait, à l’époque, la deuxième référence du label Altsax.