Scènes

Soirée Jazz Migration 2016

Mardi 1er décembre. 20H. Dynamo de Banlieues Bleues. Pantin


Schwab Soro par Michel Laborde

La soirée Jazz Migration est souvent très attendue : elle consacre chaque année des projets qui seront à l’affiche dans un futur plus ou moins proche (tels Donkey Monkey, le Théo Ceccaldi Trio, Papanosh ou Marcel et Solange pour ne citer que les lauréats les plus récents). Cette année, quatre groupes ont été retenus parmi de nombreux candidats ; soit, par ordre de passage : Schwab Soro, Un Poco Loco, Electric Vocuhila et Chromb !.

Pour ce Jazz Migration [1] cuvée 2016, la Dynamo fait salle comble. De mémoire, on n’avait jamais vu autant de mèches et de moustaches dans le quartier des Quatre Chemins ! Musiciens, journalistes, habitués des lieux - beaucoup de têtes connues, venues voir (et surtout entendre) les heureux élus de cette promotion 2016.

C’est Schwab Soro [2] qui a l’honneur d’ouvrir la soirée. Libérés pour l’occasion du grand ensemble Ping Machine, les deux musiciens nous régalent dans une formule difficile, laissant peu de place au hasard. Ils s’amusent et se taquinent sur de belles compositions signées Raphaël Schwab. Humour, fraîcheur, fantaisie. Soro au sax alto fait forte impression avec un son velouté et un déhanché à tomber. Schwab se cramponne à sa contrebasse, la caresse, tire sur ses cordes lui arrachant, là un cri, là un chuchotement.

Suit le groupe Un Poco Loco [3], dans un registre également acoustique. Patronyme en forme de clin d’oeil à une composition du pianiste Bud Powell, lui même connu pour être un poco loco. C’est donc sous le signe de la dérision et de l’espièglerie que les trois musiciens réinventent des standards des années be bop grâce à un savant jeu de collage. Ligne claire, ellipses, rebondissements, portes qui claquent, retours à la ligne, les trois compères usent d’un art quasi théâtral dans la mise en son des morceaux. Leur parfaite maîtrise instrumentale rend ce petit jeu tout à fait jouissif.

Après l’entracte, vient la partie électrique de la soirée avec les deux derniers groupes programmés.

Electric Vocuhila [4] est un groupe originaire de la région de Tours. Il propose une musique très puissante, melting pot de diverses influences : techno, musique répétitive, rock, free jazz. On entend parfois Ornette Coleman, Weather Report, des riffs à la AC/DC aussi (le guitariste Boris Rosenfeld a d’ailleurs des faux airs d’Angus Young : bouche ouverte, yeux mi-clos, brefs mouvements de tête très saccadés). La batterie est omniprésente, lourde et répétitive. Maxime Bobo aux saxophones envoie du gros son. Impossible de rester là sans bouger tant la pulsation est impressionnante. Un peu plus de trente minutes ont suffit pour nous mettre la tête à l’envers !

On monte encore le volume (si tant est que l’on puisse !) pour finir la soirée avec le groupe Chromb ! [5], une sorte de combo punk virtuose. Antoine Mermet, le saxophoniste-chanteur énonce les deux caractéristiques du groupe : « On joue fort et on est toujours content d’être là. » Avant d’ajouter : « Et aussi, on est désolés. » En verlan, Chromb ! signifie bûcheron (le « u » en moins). Et effectivement, « ça envoie du bois » ! A plusieurs moments, sur plusieurs morceaux, on se croirait dans une course poursuite : accélération, dépassement, queue de poisson, freinage d’urgence, chicane. C’est à la fois très rock, péchu, binaire et finalement assez cru tout en étant fin, plein de nuances, d’humour et de maîtrise.

Il est 23h30, la soirée touche à sa fin. On ressort à l’air libre un peu groggy après tant d’émotions et d’intensité. Cette cuvée 2016 est en tout cas très prometteuse et reflète bien le large spectre que revêt le jazz aujourd’hui.

A écouter :

  • Raphaël Schwab, Julien Soro, Schwab Soro, Neuklang, 2014 (chronique de Nicolas Dourlhès ici)
  • Un Poco Loco, Un Poco Loco, Umlaut, 2014
  • Electric Vocuhila, Marquises, Capsul Records, 2015
  • Chromb !, I, autoproduit, 2012 et II, autoproduit, 2014

par Julien Aunos // Publié le 13 décembre 2015
P.-S. :

A noter que la soirée Jazz Migration a été enregistrée par France Musique et sera diffusée dans le Jazz Club d’Yvan Amar le vendredi 25 décembre de 22h30 à minuit.

[1Jazz Migration est organisé par l’AJC (Association Jazzé Croisé) qui regroupe plus de 65 structures françaises et européennes (festivals, clubs,…). C’est un projet visant à participer au développement de carrière de jeunes musiciens en région. Les lauréats sont au nombre de quatre depuis cette année. Ils bénéficieront d’un accompagnement professionnel et artistique ainsi que d’un soutien à la diffusion sur 18 mois.

[2Raphaël Schwab, contrebasse et compositions, Julien Soro, saxophone alto.

[3Fidel Fourneyron, trombone, Geoffroy Gesser, sax ténor et clarinette, Sébastien Beliah, contrebasse - trois musiciens issus du collectif Umlaut.

[4Maxime Bobo, saxophones, claviers et compositions, Jean-François Riffaud, basse, Boris Rosenfeld, guitare et Etienne Ziemniak, batterie.

[5Léo Dumont, batterie, Camille Durieux, claviers, choeurs, Lucas Hercberg, basse, effets, chœurs, Antoine Mermet, saxophone alto, voix, synthés.