Chronique

Normand/Müller/Vrba

Triche !

Eric Normand (b, elec, fx), Matthias Müller (tb), Petr Vrba (tp)

Label / Distribution : Circum Disc

Entamée avec les Canadiens de GGRIL, qui nous ravissent de leurs albums depuis bientôt deux ans et auront été de sacrés animateurs de ces mois confinés, la collaboration entre les Nordistes de Circum Disc et le label québécois Tour de Bras s’étend désormais à des projets de formations plus restreintes. Repéré sur le GGRIL, où il est un de ceux qui tiennent la basse, Eric Normand a un univers très électronique, proche finalement des atmosphères de Jean-Luc Guionnet qu’il a rencontré sur le récent Tatouages Miroir. Ici, c’est avec deux Européens qu’il forme un trio où chaque instrument est lesté de masques et d’effets. Triche ! est un titre qui interpelle et sonne comme une provocation, une invitation au jeu : Triche, et ta basse électrique se transformera en générateur d’interférences comme dans « Hridel ktera se otaci », où d’un fatras d’électronique s’extirpe le trombone de Matthias Müller, toujours à l’aise dans cet environnement.

Triche, et tu retrouveras à tes côtés deux des soufflants les plus inventifs du moment. On connaît le tromboniste Matthias Müller pour ses collaborations avec Jeb Bishop, ou grâce à un solo qui s’inscrit dans une atmosphère similaire. Le trompettiste tchèque Petr Vrba est un sorcier des dispositifs de tension électronique que l’on a déjà pu entendre avec Isabelle Duthoit ou avec le compositeur Kurt Liedwart. C’est lui qui donne à Triche ! toutes ces couleurs étranges, à l’image du profond « Die Schwenkwelle » où la trompette joue de tous les crissements de son embouchure comme on surfe sur un brouillard épais fait de souffles transmutés et de craquements sourds. On est soudain empli de cette musique qui vous enserre comme un cocon.

Triche, et tu pénétreras dans un monde étrange et sans concession, où les altérations électriques ne masquent pas une maîtrise du souffle et d’une basse sèche comme un minerai. En témoigne l’intense et toujours proche de la rupture « Le Cercle des oiseaux », sans doute le morceau le plus accrocheur de l’album qui fait également songer à certaines expériences de Nicolas Souchal dans le collectif Musiques en Friche. Le trombone de Müller est comme un point de fixation lointain autour duquel la trompette tournoie pendant que Normand s’affaire à faire trembler un sol qu’on imagine austère et rocailleux. Du bonheur de tricher.

par Franpi Barriaux // Publié le 23 mai 2021
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