Chronique

Kimmig, Studer, Zimmerlin

Black Forest Diary

Harald Kimmig (vln), Daniel Studer (b), Alfred Zimmerlin (cello)

Label / Distribution : Wide Ear Records

C’est une sacrée surprise à laquelle nous convie le trio suisse qui réunit le violoniste Harald Kimmig et ses vieux camarades Alfred Zimmerlin au violoncelle et Daniel Studer à la contrebasse. Souvent sous la bannière de ce dernier [1], le trio KSZ s’est illustré dans une musique absolument chambriste, soucieuse du son et de sa gestuelle, sculptant avec minutie une masse de silence imposante. C’est dans cette configuration qu’on les a écoutés aux côtés de John Butcher ou encore de George Lewis. C’est peut-être ce dernier qui nous met sur la piste de Black Forest Diary, le nouvel album des Suisses qui se retrouvent tous les trois pour la première fois depuis des années ; assiégé par l’électricité et l’électronique, cet album tranche dans un premier temps. « Entry Two » en est l’archétype, par l’urgence et le sentiment d’être sur une crête instable. Chaque instrument est électrifié, ce qui confère à la contrebasse un son d’outre-tombe que le violoncelle contrebalance par le chaos électrique d’une guitare saturée. Transcendant.

En six morceaux, KSZ chamboule totalement son image. « Entry Four » est une construction rocailleuse où le violon de Kimmig porte une lumière aveuglante. La musique gratte, se fissure, paraît s’acidifier à mesure qu’elle fouille les profondeurs. C’est la métamorphose de Daniel Studer qui est la plus impressionnante ; lui qu’on connaît davantage dans une musique écrite contemporaine ou dans approche très sensible, a parfois la noirceur d’un métal intransigeant. Les chroniques de la Forêt Noire ne sont pas gravées dans un métal surchauffé, ses ténèbres semblent sortir au contraire d’une glace qui se brise, d’un corps qui se remet en mouvement.

C’est justement le paradoxe de ce disque, et sa poésie : d’un vocable plus urbain, pour reprendre les notes de pochette de Jacques Demierre, on atteint un état de nature sous-jacent tout aussi (si ce n’est davantage) charnel que les expériences acoustiques de KSZ. Écoutons l’étonnante « Entry 5 » pour nous en convaincre. Ce sont les archets qui incarnent totalement le son par les chocs sur les cordes, forcément exacerbés. De cette sécheresse naît une forme d’attente, d’impatience, un sentiment diablement humain qui chamboule les sensations. Encore plus que les prestations acoustiques de Studer et ses amis, il y a dans ce Black Forest Diary, paru naturellement chez Wide Ear Records, des strates minimalistes fascinantes qui charment les écoutes profondes.

par Franpi Barriaux // Publié le 22 septembre 2024
P.-S. :

[1Voir son disque récent en quintet.