Chronique

Ursus Minor

What Matters Now ?

Tony Hymas (cla), François Corneloup (bs, ss), Grego Simmons (g), Stockley Williams (dms,perc) + invités

Label / Distribution : Nato

La convergence des luttes. Il y en a qui en font des slogans, d’autres, des combats. Ursus Minor en fait un disque. Il est total, évidemment. Il est beau, nécessairement : il rassemble des années de savoir-faire de la maison nato en terme de dessins, de mots et de musique. Comme les mobilisations, cette dernière converge. Le double album What Matters Now ?, quatrième du quartet dont le claviériste Tony Hymas et le saxophoniste François Corneloup sont les indéfectibles piliers, est un furieux mélange de jazz, de musiques urbaines et autres Zones à Défendre au cœur des étiquettes incontrôlées. Aucune ne domine : « convergence » , le mot d’ordre est fermement appliqué. Ainsi, l’hymne hendrixien « I Don’t Live Today », où brille le batteur Stockley Williams et le guitariste d’Oakland Grego Simmons, qui complètent le quartet, est interprété par l’invitée Ada Dyer, grande voix de la Motown. Celle-ci laisse sa place avec « What About Tomorrow » à l’incontournable Desdamona accompagnée par Dominique Pifarély

C’est une partie de la suite « Land Of The Tree », consacré à Notre-Dame des Landes et ensauvagé par la bande des Belous [1]. Elle se conclut sur « Notre-Dame de Fer », fabuleux exutoire électrique où l’alchimie d’Ursus Minor n’a peut être jamais été aussi forte ; grâce à Simmons notamment, indéniablement la découverte de cet album. Ailleurs, il illumine la joute verbale de Desdamona et de Dem Atlas sur « Land Of Nowhere », qui évoque avec acidité les politiques migratoires. On l’écoute aussi sur « Lo Chant de la Terra », répondant par mille brisures à l’aridité cryptique de Bernat Combi. Ursus Minor parvient à aller sur le terrain de chacun de ses invités sans dévier de sa ligne ni cesser de mettre en perspective les combats du moment, qui ont décidément un goût d’éternel. Ici, quelques cris de Nuit Debout s’accordent aux éclats d’un cortège de travailleurs immigrés. Plus loin, c’est l’hymne tiré de Black Lives Matter qui met en action les mots de l’anarchiste chicagoanne Lucy Parsons pendant qu’Hymas se joue de l’Internationale (« The Words of Lucy Parsons »).

Les tableaux se succèdent, sans mise en scène superfétatoire ni clins d’œil trop appuyés. L’album est divisé en quatre suites qui s’imbriquent, puisque tout est politique, et se conçoit comme un gigantesque travelling avant des chants indociles, chargé de réaliser le tour du monde. Il est question dans un texte poignant du rappeur grec assassiné par les néo-nazis (« Pavlos Fyssas ») tout autant que du quotidien en coupe réglée (« La meilleure des polices », lu par Frédéric Pierrot). Mais Ursus Minor s’offre parfois quelques flâneries, essentiel pas-de-côté pour se souvenir des compagnons (« Val ») ou pour profiter du flot tranquille de la Vézère corrézienne. On songe à ce que Hymas avait proposé dans Chroniques de Résistance, jusque dans le luxe des graphismes du livret qui font de What Matters Now ? un véritable objet dans la continuité des années 90 de la maison nato. Ursus Minor prend le relais des Voix d’Itxassou, qu’ils emmènent faire un tour en ville. On suit le mouvement, bannière au vent.

par Franpi Barriaux // Publié le 6 novembre 2016
P.-S. :

Invités : Desdamona (voc), Dem Atlas (voc), Ada Dyer (voc), Anna Mazaud (voc), Frédéric Pierrot (voc), Léo Remke-Rochard (voc), Bernat Combi (voc, perc), Manon Glibert (cl), Dominique Pifarély (vln), Maël Lhopiteau (celtic harp), Timothée Le Net (acc), Patrick Dorcean (dms)

[1Du nom du festival corrézien Kind of Belou, à Treignac, où la famille nato aime à se retrouver. Nous en parlions ici.