

Odeia
Il pleut
Elsa Birgé (voc), Karsten Hochapfel (cello), Lucien Alfonso (vln), Pierre-Yves Le Jeune (b).
Label / Distribution : Wopela Label
On avait laissé Odeia entre Robert Wyatt et les Balkans, à passer de cordes en cordes par la voix magnétique d’Elsa Birgé. C’était avant la pandémie, et le temps fut long, comme il sied à tout grand voyage. Avec ce nouvel album, une chose est sûre, les Balkans sont toujours là, aussi politiques qu’il peuvent être ensoleillés : « Paraponioutai Oi Magkes Mas », pur rébétiko grec qui gagne en profondeur entre la contrebasse de Pierre-Yves Le Jeune et le violoncelle transformiste de Karsten Hochapfel, en témoigne. Des airs anciens, mais des habits neufs dans les orchestrations et les échanges entre les musiciens, quelque chose d’imperceptiblement plus complexe derrière la voix franche et pure d’Elsa et le violon toujours chargé d’émotion de Lucien Alfonso ; le travail chambriste du violoncelle n’y est pas étranger. Le choix du répertoire encore moins.
Car dès le début de ce Il Pleut, c’est le « Piango Gemo » de Vivaldi qui est convoqué, naissant des archets comme l’articulation d’une boucle insaisissable. L’arrangement de Karl Naegelen est à son image, pétri de respect pour la partition et en même temps nourri d’une grande modernité, regardant au-delà des cultures occidentales. Il fut un temps où les musiciens anciens allaient humer les roses d’Ispahan et empruntaient les routes de la soie. En tant que voyageurs, les quatre d’Odeia ne pouvaient que s’y sentir en confiance. Certes, on ne s’attendait pas forcément à entendre Elsa Birgé s’emparer d’un répertoire ancien, mais elle le fait pleinement et à sa façon, inimitable : ainsi le « Piangete Valli » le madrigal de Giuseppe Caimo, toujours arrangé par Naegelen et porté par un Odeia transformé en consort sans âge, commence par une accroche a cappella nourrie par les traditions bulgares ou roms et les chants napolitains. Façon de rappeler que la musique ancienne a souvent des racines populaires, et que John Dowland savait se montrer aussi gaillard qu’il pouvait être mélancolique (« Weep You No More, Sad Fountains »).
Ce sont ces facettes qui façonnent ce nouvel album, les chansons de ripailles et les envolées ioniennes complétant un saisissant tableau, plus contrasté que les précédents. On saluera notamment la lecture du magnifique « Montagne que tu es haute », collecté auprès des ouvrières des moulinages ardéchois et qui semble naître d’une nappe rêveuse de Vivaldi. Le sous-texte d’Odeia, c’est que toute musique est apte à faire voyager poétiquement sans bouger de son poste d’écoute. Ça tombe bien. Il pleut.