Chronique

Orchestre National de Jazz

Dancing in Your Head(s)

Label / Distribution : ONJAZZ Records

Et du chaos naquit la danse. C’est la réflexion qu’on se fait lorsque débute « Feet Music », premier morceau de Dancing in Your Head(s), album vert préambule de l’Orchestre National de Jazz de Fred MaurinFabien Debellefontaine fait parler la poudre dans un orchestre qui donne beaucoup de place aux soufflants et à l’électricité. Les claviers de Bruno Ruder et la basse de Sylvain Daniel tiennent la ligne bien droite, les dix cuivres et vents sont debout pour faire sonner la tempête, sans compter Tim Berne qui s’invite notamment sur le fiévreux « Dogon A.D » de Julius Hemphill, seule dérogation, avec Dolphy, à cet hommage à Ornette Coleman. Il en résulte une orchestration gourmande, ample, colorée. Maurin, ancien patron de Ping Machine, a confié l’orchestration à Fred Pallem, chef du Sacre du Tympan. Le moins qu’on puisse dire, sur un morceau emblématique comme « Jump Street » où le saxophoniste Jean-Michel Couchet est en feu, c’est qu’il était difficile de choisir sorcier plus énergique : la tournerie funkysante de Coleman travaille sa puissance et sa force de frappe, portées par la batterie de Raphaël Koerner.

Cela se poursuit même dans « City Living » où le trombone basse de Judith Wekstein et le saxophone baryton de Morgane Carnet flanquent l’orchestre d’un agile exosquelette capable d’encaisser toutes les torsions dans un morceau très court où Anna-Lena Schnabel nous démontre combien le temps passé au sein du prestigieux Hamburger Sinfoniker l’a durablement marquée. Le morceau est court mais intense et renforce le parti-pris funk dans la musique d’Ornette Coleman. Maurin dirige avec flegme, s’installe dans la pâte musicale de l’orchestre qu’il modèle à l’envi. Il laisse Pallem jouer avec les codes de l’harmolodie et s’amuser au jeu de construction avec « Good Old Days » qui inclut des semences de « Mob Job » et de « Street Woman ». Du morceau de 1966, il reste un Julien Soro qui se fracasse avec délectation sur l’orchestre ; de l’album avec Metheny, on conserve une électricité latente, parfois presque fantomatique mais toujours sous tension. Quant au clin d’oeil à Science Fiction, il se situe dans la densité de l’orchestre, qui se transforme en une voix bardée de tessitures

Enregistré live à Jazzdor, ce disque de l’ONJ Maurin (qu’on qualifiera de « premier » par convenance, Rituels devenant arbitrairement le « second ») a le goût de l’urgence. L’invité Tim Berne, élève de Hemphill, n’y est sans doute pas pour rien, qui déboule naturellement sur « Dogon A.D » où il forme une paire habile avec Susana Santos Silva. C’est cependant sur « Lonely Woman » qu’il renverse la table. L’exercice n’était pas aisé, tant il est difficile de trouver des chemins inusités à l’assaut du monument, mais Pierre Durand et Fred Maurin dessinent de belles courbes sur lesquels s’élancent les soufflants. La direction est encore une fois précise, c’est d’autant plus jouissif lorsque Berne joue le chien dans un jeu de quilles, marqué de près par la batterie de Koerner. Dancing in Your Head(s) est un travail nécessaire, un trait d’union, une réjouissante synthèse qui montre la force de frappe qui anime nombreux grands formats modernes à travers l’Europe. Comment ne pas tomber sous le charme quand, en prime, on le met en miroir avec le précieux Rituels ?

par Franpi Barriaux // Publié le 6 septembre 2020
P.-S. :

Frédéric Maurin (dir, g), Fred Pallem (orch), Jean-Michel Couchet (as, ss), Anna-Lena Schnabel (as, fl), Julien Soro (ts), Fabien Debellefontaine (ts, fl), Morgane Carnet (bs), Fabien Norbert (tp, flh), Susana Santos Silva (tp), Mathilde Fèvre (fh), Daniel Zimmermann (tb), Judith Wekstein trombone (btb), Pierre Durand (g), Bruno Ruder (Rhodes), Sylvain Daniel (b), Rafaël Koerner (dms)