Entretien

Ozma

Le jazz explosif d’Ozma raconté par Stéphane Scharlé…

En 2005, Ozma, premier opus du groupe, avait donné l’occasion de découvrir la musique énergique de cinq artistes venus de l’est. Depuis, le quintette a suivi son bonhomme de chemin avec succès. Stéphane Scharlé, le batteur du groupe, revient sur l’histoire et la musique de ce combo résolument moderne.

  • Pourquoi avoir choisi le nom de cette princesse pour le groupe ?

Stéphane Scharlé : ce n’est pas la princesse d’Oz qui a inspiré le nom du groupe, mais le projet OZMA de la NASA. C’est l’ancêtre du projet SETI dont le but est d’explorer les confins de l’univers, à la recherche d’une intelligence extraterrestre…

  • Comment s’est formé le groupe Ozma ?

A la base c’est un trio : Adrien Dennefeld à la guitare, Édouard Séro-Guillaume à la basse et moi à la batterie. Nous nous sommes rencontrés lorsque Adrien passait son concours d’entrée au CNR de Strasbourg. Quelques mois après, Adrien nous a rappelés pour continuer ensemble. C’était en octobre 2001 ! Trois ans de recherches musicales plus tard, la forme trio commençait à trouver ses limites par rapport à nos envies. Nous avons donc prospecté parmi les musiciens strasbourgeois pour augmenter l’effectif du groupe… Nous animions le bœuf de la Chaîne d’Or avec Adrien et c’est là que nous avons joué pour la première fois avec le saxophoniste David Florsch et le tromboniste Guillaume Nuss. Depuis, l’alchimie s’opère naturellement et Ozma est devenu un quintette.

  • Vous êtes tous passés par le CNR de Strasbourg. Qu’en avez-vous retiré ?

Les profs que nous y avons rencontrés ont des parcours musicaux très riches et très variés… Ils nous ont fait découvrir leurs univers et leurs visions : des musiques du monde aux musiques improvisées, en passant par le rock et le jazz dans son ensemble. Globalement, nous en avons retiré un approfondissement technique et une ouverture culturelle indéniables.

Concert à Prague © Sophie Dungler
  • Le titre du dernier album, Electric Taxi Land, est un clin d’œil à Jimmy Hendrix. Pourquoi ? Plus généralement, quels sont les groupes qui ont influencé la musique d’Ozma ?

En fait ce n’est pas une référence directe à la musique d’Hendrix, mais plutôt à sa spontanéité et à son énergie. Nos références les plus évidentes seraient le quintette de Dave Holland ou le quartette de Wayne Shorter pour leur approche de l’improvisation. Pour le son et la couleur les projets, Ozma penche davantage vers Julien Lourau, les Slicaphonics ou encore le M-Base de Steve Coleman… Nous écoutons aussi un foisonnement de musiques ; tous les grands noms du Hip Hop, du Funk, du Rock, du Métal, de l’Electro… ont également une influence sur notre musique.

- Effectivement dans Electric Taxi Land, comme d’ailleurs dans Ozma, premier opus du groupe, rock, funk et métal sont omniprésents. Dans Ozma, vous qualifiiez d’ailleurs la musique de « funkamétrique ». Aujourd’hui, vous parlez de « jazz explosif » ?

Nous avons abandonné la dénomination « funkamétrique » il y a environ deux ans. Tout simplement parce que l’influence funk est de plus en plus distillée dans nos compositions. Même si elle reste sous-jacente, ce n’est plus une composante primordiale de la musique d’Ozma. Le terme « explosif » retrace mieux l’énergie et la fougue qui caractérise notre musique… Et il permet aussi d’éviter la référence à un style précis.

  • Comment caractériser l’évolution de la musique d’Ozma entre les deux disques ? Par exemple, dans Electric Taxi Land, Ozma a intégré des éléments musicaux orientaux ou rap (« Blah !! »). Passe-t-on d’un jazz nuancé de rock alternatif européen à un jazz nuancé de rock et de musiques du monde ?

Pour faire évoluer notre musique, nous ne nous fermons aucune porte stylistique. Il en résulte un répertoire de morceaux ou peut-être plus exactement de tableaux, qui diluent de plus en plus nos références… Disons qu’Ozma est reconnaissable par un son et une manière d’aborder l’improvisation comme un vrai moment de création collective. Le mot anglais « interplay » traduit bien notre approche. C’est pour ça qu’il ne faut pas s’étonner d’entendre dans notre répertoire des morceaux à consonance électro, orientale ou même métal ! En fait chaque projet d’album suit nos envies du moment. Comme l’a dit Édouard, le projet artistique d’Ozma ne réside pas dans la définition d’une esthétique calibrée, mais plutôt dans une recherche sur le traitement d’univers sonores. Par exemple, nous pouvons trouver une couleur - ou un « mood » - pour une pièce et l’utiliser comme terrain de jeu collectif afin d’en dégager une forme narrative. Donc l’évolution de la musique d’un album à l’autre va davantage s’entendre dans le traitement des formes que dans le choix d’une esthétique.

  • Toujours au chapitre des influences, comme vous êtes tous les cinq originaires de l’est de la France, y-a-t-il un caractère musical spécifique à l’Alsace qui pourrait influencer le « jazz explosif » d’Ozma ?

(Rires) Il y a bien un caractère spécifique à la musique alsacienne, mais il n’est pas (encore ?) représenté dans la musique d’Ozma…

  • Pourquoi le taxi : Electric Taxi Land, mais également le taxi sur le premier site Internet d’Ozma (c’est le taxi qui amène l’internaute à la boutique d’Ozma) ?

L’idée du taxi rejoint parfaitement l’état d’esprit dans lequel nous concevons notre expression musicale : chaque morceau est une aventure en soi ! Ozma prend le volant et invite l’auditeur à partager la découverte d’un paysage sonore… Ça peut être une cité en ruines au milieu du désert, un ouragan de plus en plus menaçant, un royaume peuplé de créatures étranges… Le taxi symbolise un moyen d’exploration plein de surprises et d’émotions. C’est aussi l’inspirateur d’un élan dynamique, un parcours en perpétuelle mutation, jalonné de visions tantôt poétiques, ensoleillées, sauvages, voire cataclysmiques !

Ozma © Achile
  • Le graphisme des pochettes des disques et du site est très proche de la bande dessinée. Pourquoi ce choix d’image pour Ozma ?

Chaque disque est pour nous l’occasion de travailler avec un nouveau graphiste. Et à chaque fois nous créons un nouveau site correspondant à l’album. L’univers BD s’est imposé car les techniques de la bande dessinée permettent de rendre le mouvement, de forcer les traits des personnages, de faire jaillir les couleurs en gerbes flamboyantes… L’illustration de nos musiques est aussi une façon de préciser notre imaginaire. Et nos sessions d’improvisation font parfois penser à la création de musique de cinéma. La collaboration avec ces deux graphistes, François Pensec et Achile, a considérablement enrichi l’univers « ozmique » en le rendant plus profond, plus complet et plus cohérent.

  • Revenons sur le groupe et sa musique : saxophone, trombone, guitare, basse et batterie. Donc pas de claviers, est-ce un choix délibéré ?

Le choix s’est fait par la force des choses… Sans compter qu’Adrien remplit largement la fonction harmonique à la guitare. Par ailleurs, en dehors du batteur, chaque instrumentiste est debout. Ce qui permet une certaine mobilité sur scène et favorise sans doute notre spontanéité pendant les duos qui jalonnent nos concerts.

Concert à Stuttgart © Sophie Dungler
  • A l’inverse de bien des groupes de jazz à tendance rock ou fusion, il n’y a pas d’électro dans Ozma. Pas de tentation de bidouillages électro ?

C’est vrai, pour l’instant il n’y a pas d’électro à proprement parler, mais les effets de guitare et de basse ont des couleurs assez proches de l’électro et enrichissent la palette sonore… Cela dit, des surprises sont à attendre pour le troisième album !

  • Sur Electric Taxi Land, il y a trois reprises du premier album (« 7 Jewels » en trois parties, « Cellow » et « Ending The Biguine »), plus sept compositions originales. Comment se passe le travail de composition au sein d’Ozma ?

Le répertoire est nourri en premier lieu par les improvisations libres lors des répètitions. A cela s’ajoutent les compositions d’Adrien et d’Edouard. Au fil des ans chacun commence à sentir le moyen de s’exprimer. Aujourd’hui tout le monde apporte des morceaux. Parmi un répertoire d’une trentaine de compositions originales en cours de création ou déjà au placard… nous pouvons choisir de jouer celles qui nous plaisent le plus sur le moment.

  • La plupart sont courtes (moins de cinq minutes). Comment Ozma développe-t-il ses idées à partir des thèmes ?

Les morceaux sur disque ont été volontairement raccourcis. C’est un choix de production. L’idée est de transmettre une énergie directe, une sorte d’évidence et de sobriété. En concert ils durent en moyenne sept minutes parce que les improvisations prennent leur envol… Les idées ou les bases des improvisations sont définies à partir de la couleur du thème, de l’esprit du morceau, d’une part, mais se précisent également au fil des concerts. Les idées vont être étayées, renforcées, ou carrément abandonnées pour laisser place à de nouveaux terrains de jeux. C’est un travail dans la durée, une maturation qui s’opère petit à petit. D’ailleurs c’est pour ça que nous avons réenregistré trois titres du premier album.

  • Quelle est la part d’improvisation et d’écriture ?

Il y a systématiquement des parties écrites qui permettent de définir le contexte, l’esprit, le « mood ». Puis, à partir de là, les improvisations sont déroulées dans la continuité du thème. A mesure que les morceaux gagnent en maturité, l’improvisation devient totale aussi bien au niveau thématique que structurel. C’est l’avantage de se connaître si bien : quand l’un des musiciens prend une direction, les autres le soutiennent ou se laissent entraîner dans son sillage, un peu à la manière d’un vol d’étourneaux ! Mais quoi qu’il arrive, l’unité reste le maître mot.

  • Pas de standards au répertoire ?

Cela ne nous est jamais venu à l’esprit, même si en répète nous nous amusons à « trasher » des standards et que nous avons repris quelques morceaux dans ce sens comme « Giant Steps » en 7/4, par exemple… Ozma n’est pas assez ancré dans la tradition du jazz pour ce genre de clin d’œil… Une reprise de Rammstein serait plus de mise !

  • Mais quid des allusions comme « Ending The Biguine » ? Ozma et l’humour ?

Il est difficile de transmettre l’humour sur disque à moins d’en faire son credo, à l’instar de Rigolus. Cela dit, nous sommes de grands « déconneurs » et en concert les gens le sentent bien. Je crois que nous aimons bien l’ambivalence sérieux/décontractés. Par exemple : notre habit de scène, le costard noir, contraste avec la décontraction que nous affichons. Et un morceau comme « Ending The Biguine » que nous jouons en bis du set, côtoie des morceaux sombres et sérieux comme « Modus 2 » ou « Sirène », deux nouveautés à découvrir sur le prochain CD ou en concert !

  • Un disque tous les deux ans, de nombreux concerts, des résidences… Depuis 2005 Ozma n’arrête pas : la longévité du groupe est-il un facteur de ce succès grandissant ?

C’est évident : pour un groupe qui joue du jazz c’est le seul moyen de grandir ! Ce n’est pas un tube à la télé qui va nous faire connaître du grand public ! Notre seule chance de réussite est de bosser comme des acharnés et de jouer notre musique avec sincérité. Le public ne s’y trompe pas et sent bien qu’Ozma n’est pas juste une réunion de bons musiciens pour un projet mais une véritable famille ! A force on finit par se demander si on n’est pas plus un groupe de rock que de jazz !

Ozma © Dorian Rollin
  • Quels sont les projets ?

Ils sont nombreux ! 2008 s’achève avec notre seconde tournée européenne : une vingtaine de concerts en Allemagne, Pologne, Suisse, République Tchèque, Norvège, Estonie et Lettonie… Et 2009 s’annonce chargé : en effet, Ozma à été sélectionné avec deux autres formations, l’Emile Parisien Quartet et le Jean Louis Trio, dans le cadre du programme Jazz Migrations de l’AFIJMA. C’est l’occasion pour nous de jouer davantage en France ! J’en profite pour dire un grand merci à Philippe Ochem de Jazz d’Or pour son soutien constant et pour avoir parrainé le quintette !

Au printemps nous partons quinze jours au Népal pour une résidence à Katmandou avec les musiciens du Katmandou Jazz Conservatory. Ensuite nous enchaînerons avec une tournée de trois semaines en Inde. Mi-2009 Ozma devrait jouer avec un orchestre symphonique un oratorio sur le thème des Deux Odiles composé par Hubert Dennefeld, le père d’Adrien. A l’automne Ozma accueillera en Alsace les musiciens traditionnels rencontrés au Burkina Faso en janvier et février 2008. Au programme : une résidence, une série de concerts et une exposition qui présentera le travail des photographes Dorian Rollin et Marc Guénard.

Dans les années à venir nous souhaitons monter une tournée au Canada et en Russie, nous avons des projets de résidences en cours avec le groupe brésilien K-TZ et le quintette Bordelais Fada, et nous aimerions réaliser quelques vieux rêves : monter un spectacle cinématographique dont nous interpréterions la musique, arranger les morceaux du quintette pour les jouer avec un Big Band…

Enfin Ozma veut enregistrer son troisième opus le plus tôt possible et nous cherchons actuellement un label qui pourrait défendre le projet. À bon entendeur…

  • Un mot pour résumer Ozma, sa musique, ses projets… ?

VRRRRRROOOOOOOOOOMMMMMMM !!!!!!!!


Electric Taxi Land
  1. « Blah !! », Scharlé (4:06)
  2. « La Chenille au Galop Part 2 », Séro-Guillaume (2:33)
  3. « Interlude », Ozma (1:08)
  4. « Vent de Terre », Nuss (5:13)
  5. « Exit », Ozma (5:19)
  6. « Mic Mac », Dennefeld (1:33)
  7. « Jade », Dennefeld (4:28)
  8. « 7 Jewels Part 1 », Ozma (4:01)
  9. « 7 Jewels Part 2 », Ozma (3:35)
  10. « 7 Jewels Part 3 », Ozma (4:25)
  11. « Cellow », Dennefeld (4:42)
  12. « Ending The Biguine (Punk edit) », Séro-Guillaume (2:08)