Pascal Schumacher
Pour la sortie de son premier album, Pascal Schumacher se présente, ainsi que son groupe et sa musique
Entre la première fois que j’ai vu le Pascal Schumacher Quartet en septembre 2003 et la sortie de leur premier album Change of the Moon en mars de l’année suivante, ce groupe s’est établi, pour moi, comme le meilleur nouveau groupe de jazz en Belgique. Schumacher se livre ici, tranquille mais opiniâtre et souvent incisif à son propre égard mais aussi envers ses collègues.
- © Alexi
Fils d’un joueur de tuba amateur, Pascal Schumacher a été forcé d’assister aux concerts de la fanfare locale. C’est là qu’il a été impressionné par le percussioniste : « Il n’était peut-être pas si bon que ça, mais à ce moment-là, pour moi, il était Dieu ; je voulais être comme lui. J’ai commencé à taper partout et on a décidé de me mettre aux percussions dans une école locale ; j’avais 7-8 ans. Un an plus tard, j’ai été transféré au Conservatoire du Luxembourg ; j’y enseigne, à présent ! J’y ai fait de la percussion classique : timbales, triangle, caisse claire, marimba, xylophone, glockenspiel. Ça prend du temps parce qu’il y a beaucoup d’instruments : on passe du xylophone à la caisse claire, puis à un morceau pour 13 tambours… »
Schumacher fait alors ses premières expériences dans divers ensembles, notamment l’European Youth Orchestra, avec lequel il tourne pendant quatre ans, et continue d’étudier la musique contemporaine à Strasbourg avec le vibraphoniste renommé Emmanuel Séjourné. « Je jouais de la musique contemporaine, vraiment difficile. Aujourd’hui, je pense que c’est de la musique intéressante à jouer mais pas à écouter car elle est extrêmement théorique : boom boom pccch ping ting dung… Il y a des choses sympas, mais il faut aussi jouer beaucoup de merde. »
Séjourné le recommande au vibraphoniste belge Guy Cabay pour étudier le jazz et ainsi « libérer mon jeu. » Cette rencontre décidera de la suite du parcours musical de Schumacher. « Guy Cabay m’a fait oublier tout le reste. Il est fascinant, il adore sa musique ; quand il te prend il est impossible de lui résister. » Diplôme de musicologie en poche, Schumacher déménage à Bruxelles, en partie afin de rassurer ses parents : « Je me suis inscrit au conservatoire. Le niveau y est plus élevé et la ville recèle plus de possibilités musicales. »
Bien qu’il ait été initié à l’improvisation en compagnie d’un ami vibraphoniste de jazz (« sans connaître les accords, juste pour faire de l’improvisation libre ») sa relation avec le jazz avait plutôt mal débuté : « J’avais un CD de Lionel Hampton que je n’ai pas écouté pendant deux ans parce que je trouvais la musique stupide. Pourtant, un jour je suis rentré dedans. Puis j’ai acheté un album de Gary Burton ; je l’écoutais toute la journée. Lentement, j’ai découvert d’autres choses que j’aimais. »
« La sonorité, la virtuosité de Gary Burton sont impressionnantes pour tous les jeunes vibraphonistes, et même les percussionnistes. Il a inventé le jeu à quatre mailloches ; avant lui peu le faisaient, et personne n’avait perfectionné cette technique. Ensuite, Bobby Hutcherson - mon vibraphoniste favori aujourd’hui - a adopté cette manière de jouer et Mike Mainieri a trouvé son truc. La plupart des vibraphonistes partent de Gary Burton, puis cherchent leur propre manière de jouer. À part Bobby Hutcherson, je suis un grand fan de Stefon Harris et David Friedman, qui est peut-être ma plus grande idole. Il avait un quartet, Double Image, avec Dave Samuels au marimba, qui sonnait très bien. »
En écoutant Air Mail Specialinterprété par Hampton et Oscar Peterson, Schumacher développe un peu l’histoire stylistique de son instrument. « Il y a deux écoles dans l’histoire du vibraphone : ceux qui viennent de la batterie et ceux qui viennent du piano. Les écoles de Lionel Hampton et de Milt Jackson. Clairement, les batteurs sont plus forts rythmiquement et les pianistes harmoniquement. Encore aujourd’hui il y a beaucoup de vibraphonistes-batteurs. Harmoniquement, ce que joue Hampton est ennuyeux, mais c’est virtuose et rythmiquement parfait. Aucun pianiste ne jouerait ces lignes chromatiques, parce que ça veut rien dire. Hampton utilise de petites mailloches et obtient un son très explosif. Milt Jackson vient du bebop et a de plus grosses mailloches, d’où un son moins fort et plus chaud. J’ai appris pas mal de ses solos, très bluesy et harmoniquement parfaits. C’est le Bach du vibraphone. On ne joue plus comme ça, mais c’est la manière parfaite de jouer. »
« Le vibraphone est un instrument difficile. Quand on y regarde de plus près, on découvre que c’est un mauvais choix d’instrument, il n’y a que des limitations ! Il faut donc trouver des solutions à ces limitations. La sonorité est merdique, on ne peut rien faire avec, ce n’est pas comme un saxophoniste qui peut modifier son son à volonté. La tessiture est très limitée, il n’y a pas de basse. Physiquement, c’est très difficile et fatigant : on passe tout le concert perché sur une jambe. Il y a beaucoup de problèmes mécaniques et il faut l’entretenir très souvent. Aussi, on n’a pas un contact direct avec l’instrument, comme un trompettiste ou un pianiste. Donc, la seule manière de vraiment atteindre quelque chose de bien est de vraiment beaucoup jouer. J’écoute Brad Mehldau ou Keith Jarrett en essayant de leur prendre des trucs, mais ça ne sonnera jamais aussi bien parce que je ne peux pas m’accompagner comme eux le font. »
- g-à-d : Jef Neve, Pascal Schumacher, Christophe Devisscher, Teun Verbruggen © Alexi
Les premiers groupes de Schumacher lui permettent de s’aguerrir, d’apprendre les standards, d’écumer les scènes et les festivals. C’est en arrivant en Belgique qu’il ressent le besoin de monter un groupe régulier avec lequel s’épanouir pleinement. C’est là qu’il rencontre son compatriote le guitariste Greg Lamy ; ensemble, ils jouent régulièrement au Sounds (un club essentiel à la vie jazzistique belge) et trouvent une section rythmique parfaite avec Christophe Devisscher et Teun Verbruggen. « Ça a marché entre nous dès la première répétition. La musique à l’époque était un peu plus facile à jouer, plus groovy, de par les compositions de Greg. En janvier 2003 j’ai dû trouver un remplaçant à Greg pour un concert et Teun m’a recommandé Jef Neve. Ce concert fantastique nous a décidés à prendre définitivement Jef avec nous. Lui et moi vibrons très souvent à la même fréquence. Plus la musique est difficile, mieux il s’en sort. Il apporte aussi une touche de Brad Mehldau. Teun est le meilleur batteur que je connaisse, il a la meilleure sonorité. Christophe est solide comme un roc. Teun et Christophe se connaissent depuis longtemps et sont comme des frères. Jef et Christophe se connaissent depuis longtemps aussi, et Teun joue dans le trio de Jef. Je vois trop de concerts où les musiciens n’ont pas l’air de s’amuser. Nous, ce n’est pas à chaque fois, mais la plupart du temps on s’amuse beaucoup. »
Schumacher souligne l’importance qu’il y a à chercher un véritable son de groupe, ce qui ne peut se faire qu’au fil des répétitions et des concerts. Pour aider à développer ce son, des compositions de Neve et Devisscher sont aussi inscrites au répertoire. « Il est important pour moi de jouer des compositions de tous les membres du groupe pour chercher et créer un son de groupe qui appartienne un peu à tout le monde. En plus, c’est bon pour l’ambiance dans le groupe : les musiciens ne sont pas de simples mercenaires au service d’un leader et ses compositions. D’ailleurs, on ne se voit pas seulement pour les concerts et les répétitions, mais aussi en dehors, pour aller au cinéma ou à des soirées, par exemple. Enfin, le fait d’avoir des morceaux de tous les membres enrichit le spectre des couleurs sonores du groupe, car chacun a son propre son au sein de ses compositions. Ça motive, j’ai beaucoup de chance d’avoir ces trois musiciens avec moi. »
« Des gens d’Igloo Records nous ont vus et m’ont proposé d’enregistrer. On avait une idée très claire de ce qu’on voulait enregistrer : ce qu’on joue en concert, tout simplement. C’est l’avantage d’avoir un vrai groupe qui répète et joue beaucoup. On s’entend très bien, ce qui n’est pas le cas de tous les groupes. On a eu trois jours de studio, et comme on avait presque fini le deuxième jour, le troisième on a expérimenté un peu. Ainsi, pour le morceau-titre de l’album, j’ai apporté des gongs pour faire plaisir à Teun. Maintenant qu’on a enregistré, on compte intégrer de nouvelles compositions à notre répertoire. »
« On a beaucoup cherché comment enregistrer un bon son d’ensemble. Le piano et le vibraphone jouant dans le même registre, et avec un batteur comme Teun qui joue beaucoup de caisse claire, ce n’était pas facile à obtenir. Là où l’équilibre parfait était atteint, c’était dans le Modern Jazz Quartet. Le secret, c’est qu’ils jouaient de manière très économe. Le batteur ne jouait presque pas et la musique était très arrangée. Dans mon quartet, ce n’est pas le cas : tout le monde joue trop ! (rires) »
Le développement futur du groupe dépendra des possibilités de jouer à l’étranger et de rencontrer de nouveaux publics. « On a déjà 30 à 35 concerts prévus pour 2004. En mai, on va faire une tournée en Australie, et plus tard en Belgique et en Allemagne, mais il n’y a rien en France, c’est très difficile d’y rentrer. Il faudrait presque embaucher un français dans le groupe ! Peut-être pourra-t-on trouver de meilleurs concerts, maintenant, car jouer dans les, festivals sans avoir enregistré de CD, c’est impossible ; on nous disait : ’On ne peut pas vous prendre, vous n’avez pas de CD.’ Maintenant, ils devront trouver une autre raison pour nous refuser ! »
Comme tout musicien actuel qui se respecte, Schumacher envisage de temps en temps la possibilité de reprendre un morceau de pop contemporaine. « Je n’ai pas encore trouvé, mais c’est une idée qui m’intéresse. C’est un peu le truc à faire aujourd’hui pour être dans le coup, tout le monde le fait. C’est difficile de faire le bon choix. Il y a beaucoup de bonnes chansons de Radiohead, mais ce serait trop copier Brad Mehldau. Peut-être Elvis Costello, mais ça n’a pas le même pouvoir d’attraction sur un public jeune. Il faut juste tomber sur le bon morceau et tout se passe naturellement. The Bad Plus, par exemple, est un groupe qui a travaillé dur et qui a réalisé quelque chose, même si ce n’est pas tout à fait mon style. »
« Je suis très critique. Pour être vraiment honnête, même dans le jazz il y a peu de choses que j’aime beaucoup ; pourtant, j’achète beaucoup de CD. Brad Mehldau a une cote excellente, j’aime tous ses disques. Vibraphonistes à part, j’aime aussi l’Esbjorn Svenssion Trio. J’ai fait un projet autour de Monk et acheté une trentaine de CD ; j’ai beaucoup transcrit et beaucoup lu sur lui, je l’aime beaucoup. Charles Mingus, Alexi Tuomarila, Chick Corea Now He Sings, Now He Sobs, un classique que tout le monde doit aimer ! »