Chronique

Patricia Duflot

Jizzy

Label / Distribution : Domens

Il est des lectures qui vous enchantent. Jizzy, une histoire de jazz en Amérique que vient de publier Patricia Duflot est de celles-ci. Ce court roman – un peu plus de cent pages – est pour une part essentielle inspirée par Jimmy Scott, sa vie, sa voix si étrange, sa personnalité tout entière.

En s’exprimant par cette voix à la première personne, l’auteur réussit un tour de force. Il faut que le lecteur y croie ! Qu’il pense que lui parle non pas Jimmy, mais une voix, quelque chose qui le touche. Il s’agit ici bien plus que de vraisemblance, de psychologie, de réel. Il faut que ce soit une personne qu’on entende, un être vivant qui s’adresse à nous. Et puisque nous lisons, c’est nous qui parlons : c’est presque comme si nous nous parlions à nous-même. C’est d’ailleurs à cette condition ultime – si ce que vous lisez, vous auriez pu l’écrire, si vous aviez su, ou si vous y aviez pensé – qu’un livre devient nôtre autant qu’il est à son auteur. Lequel, à sa manière, nous l’offre, et l’abandonne ainsi à son destin.

On peut toujours se demander si ce que Patricia Duflot invente est vrai ou issu de son imagination. Car on ne sait pas tout, assurément, de Jimmy Scott (Ici rebaptisé « Jizzy », ce qui sonne comme Dizzy ou bien... c’est là qu’on se prend à rêver.)

Doué de cette voix d’ange, venue du ciel plutôt que de la terre, Jimmy Scott a eu plusieurs vies. Né en 1925 à Cleveland (Ohio), atteint d’un syndrome rare qui a arrêté sa croissance et lui a laissé une voix de pré-adolescent, il a croisé les routes plus ou moins tortueuses de tous les jazz et des tous les quartiers, surtout mal famés. Il a rencontré, musicalement s’entend, Lionel Hampton, Kenny Clarke, Charles Mingus. Puis il a disparu. Il est revenu plusieurs fois et a presque connu la gloire dans les années 90. Grâce au producteur de Madonna, à la Warner pour qui il enregistra cinq disques passionnants. Et grâce à David Lynch qui le fit chanter dans la série Twin Peaks.

Mais on en apprendra plus long que dans tous les dictionnaires en lisant Jizzy. Il est probable qu’on l’aimera d’amour cet être hors norme - sauf celle de l’humanité - car Patricia Duflot, par la grâce d’une écriture qui est musique à elle seule, faite de rythme, de mélodie, d’harmonie, le fait vivre à chaque ligne.