Chronique

Ravi Coltrane

Spirit Fiction

Ravi Coltrane (ts, ss), Joe Lovano (ts), Luis Perdomo (p), Drew Gress (b), E.J. Strickland (dm), Ralph Alessi (tp),Geri Allen (p), James Genus (b), Eric Harland (dm)

Label / Distribution : Blue Note

On ne découvrira pas aujourd’hui, à la faveur de ce disque, que Ravi Coltrane est un très bon saxophoniste. Parmi les meilleurs, les plus intéressants de sa génération. Il faut en même temps oublier – et puisqu’on le dit, on ne le fait pas ! – qu’il porte un nom parmi les plus importants de l’histoire du jazz, et surtout, ne pas évaluer sa musique et son talent à l’aune de celui-ci. Trop d’articles de presse ont du mal à se défaire de cette attitude.

Le premier enregistrement de Ravi Coltrane pour Blue Note, intitulé Spirit Fiction, confirme largement tout son talent. Sans doute s’agit-il même ici de son meilleur enregistrement - si toutefois ces échelles de valeur ont, elles aussi, un sens. On y trouve des climats bien différents - un terme utilisé faute de mieux, c’est-à-dire faute de pouvoir détailler ce que dit chacun, comment il s’adresse à nous, à quelle référence on pourrait le rattacher, etc. - sans pour autant que l’ensemble soit un de collage hétérogène. C’est là que se dessine son orientation propre, ce qu’on pourrait appeler son « art ».

Il faut accorder une attention toute particulière, me semble-t-il, à quelques pièces exceptionnelles d’ambition et d’originalité. Le titre qui donne son nom au disque, celui qui l’ouvre (« Roads Cross »), celui qui lui répond un peu plus tard (« Cross Roads »). Mais on peut aussi apprécier « Yellow Cat », « Marilyn & Tammy » et le « Check Out Time » d’Ornette Coleman. La présence de Joe Lovano sur ce dernier thème ainsi que sur « Fantasm » est plus qu’une forme de reconnaissance (il est en outre coproducteur du disque). C’est par-dessus tout l’occasion d’un dialogue fertile et d’une générosité musicale enthousiasmante. Geri Allen est encore plus magnifique de limpidité, sur les quatre thèmes où elle intervient, que son confrère au piano Luis Perdomo, dont la clarté sonore est pourtant une surprise de chaque instant. La place occupée par la trompette de Ralph Alessi paraît, quant à elle, parfois moins opportune.

Ravi Coltrane a bien des choses à dire. Il le fait d’ailleurs depuis plusieurs années. Et on sait - Spirit Fiction en est la preuve - qu’une œuvre se construit avec patience, sincérité et courage - le courage requis pour pousser jusqu’au bout les expériences personnelles. En s’engageant dans cette voie, Ravi Coltrane explore des territoires inconnus. Telle est l’exigence de la création. C’est précisément cela qu’on doit attendre d’un artiste, car c’est à cette condition essentielle que la musique se partage.