Chronique

Peter Brötzmann & Paal Nilssen-Love

Chicken Shit Bingo

Peter Brötzmann (tárogató, cl, bcl, bs), Paal Nilssen-Love (dms, perc).

Label / Distribution : Trost Records

Vous serez heureux d’apprendre que le Chicken Shit Bingo dont parle ce disque en duo, le premier à titre posthume pour Peter Brötzmann, est un vrai jeu d’argent : un poulet dans une cage quadrillée doit déféquer sur une case, les paris sont ouverts. Hors de cette occupation d’un rare raffinement, on retrouve deux vieux amis dans une configuration assez classique dans l’histoire du free, anches et batterie, Peter Brötzmann et Paal Nilssen-Love, soit deux forces de frappe d’une rare virulence. Quel sera le résultat ? Le premier morceau brouille les pistes : l’Allemand est au tárogató, le Norvégien use de percussions boisées… On pourrait se croire en train de remonter à rebours les routes de la soie. Mais la tempête n’est jamais loin, « Butterfly Mush » s’empourpre, se fâche, et on retrouve le jeu apoplectique de Brötzmann accueilli par des peaux jouées à la main.

Le ton de ce disque enregistré à Anvers en 2015 est sombre, et il trouve sa plus belle expression dans l’intense « Smuddy Water » ou Brötzmann empoigne sa clarinette basse pour sonder les profondeurs caverneuses où l’entraîne la batterie. Lorsqu’il remonte à la surface, Nilssen-Love se déchaîne, assène, sans perdre de sa souplesse ; d’ailleurs le calme revient, épais comme un brouillard qui perdure au loin dans « South Of No Return » aux allures pastorales, le métal de la batterie tintant comme un troupeau dans les premières verdures de printemps. La confrontation n’est jamais loin cependant, et « Dancing Octopus » renoue avec le corps-à-corps, la batterie tournoyant pour mieux valdinguer dans les murs. Un instant de pur Brötzmann, violence brute d’un cri primal.

La pochette, stylisée comme toujours chez le regretté saxophoniste, représente un combat de boxe, l’arbitre arrêtant l’un des pugilistes avant de compter le malheureux au sol. Inutile de chercher qui est qui, les deux musiciens se rendent coup pour coup dans l’apocalypse de « Move On Over » où Nilssen-Love est diabolique. Le morceau dure à peine plus d’une minute, mais toute la musique de Brötzmann semble y être concentrée, nous permettant de mesurer la perte que représente la disparition de cet immense musicien.

par Franpi Barriaux // Publié le 12 mai 2024
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