Chronique

Phil Gordiani

Voodoo

Phil Gordiani (g), Antoine Berjeaut (tp), Alice Perret (keyb), Joachim Florent (b), Emmanuel Scarpa dms)

Label / Distribution : Autoproduction

Parmi les légendes urbaines, les histoires qu’on se raconte entre geeks de la musique lors de soirées interminables où les atomes de mauvaise foi saturent autant l’atmosphère que l’oxygène, la rencontre programmée de Jimi Hendrix avec Miles Davis, interrompue pour cause d’entrée du guitariste dans le club des 27, est quasiment aussi renommée que la trace discographique du bœuf entre Monk et Mingus. Au moins autant que la recherche méthodique d’un enregistrement de jazz-rock qui aurait franchi le XXIe siècle sans avoir mal vieilli. Or, comme pour le reste, cet événement qui aurait peut-être changé la face de la musique populaire n’a jamais existé. C’est dire quelle jubilation Voodoo de Phil Gordiani, habituel compagnon de Sylvain Rifflet dans Mechanics, vous procure aux prémices de « Voodoo Voodoo », alors que la batterie d’Emmanuel Scarpa propulse sa guitare et la trompette d’Antoine Berjeaut dans un univers où tout est plus ou moins branché sur le courant alternatif.

Voodoo est le mariage entre les deux figures majeures de la musique électrique de l’orée des années 70. Une vraie union passionnelle, symbolisée par la fusion graphique d’éléments des pochettes respectives afin d’illustrer le premier album d’un quintet où s’ajoutent la basse contondante de Joachim Florent et les claviers bâtisseurs d’Alice Perret. Il ne s’agit pas d’un recueil nostalgique ou d’un best-of fantasmé. Comme en témoigne l’excellent « Yrau » ou Berjeaut et Gordiani font à tour de rôle sonner le tonnerre dans un climat conducteur, il s’agit plutôt d’un exercice de style, d’une forme d’uchronie : où en serions-nous si les trajectoires s’étaient croisées ? C’est ce qui offre à cette œuvre son parfum d’inédit ; la musique est référentielle mais nullement datée. Ainsi « Seattle Groove », qui suggère l’ombre d’un troisième larron princier, est résolument contemporain. Une orgie de watts pour ces musiciens qui dégainent depuis des années les flèches de leurs arcs électriques, du Coax Collectif à Wasteland.

Capté à l’occasion d’une résidence pour les 30 ans du D’Jazz Nevers Festival, Voodoo est un disque qui parvient à allier plaisir immédiat (on met au défi quiconque de ne pas se dandiner sur « Open Bar » !) et réflexion plus large sur liens entre jazz et rock, des postures aux rendez-vous manqués. La grande réussite de cet album est d’éviter les reprises et les orchestrations iconoclastes. Certes, « Beginnings » recèle des partitions d’Hendrix. Bien sûr, il y a de nombreuses fausses citations, ou délibérément tronquées. C’est le jeu. Mais globalement le matériel est inédit. C’est ce qui le rend particulièrement précieux.

par Franpi Barriaux // Publié le 10 décembre 2017
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