Chronique

Pierre Vaiana

Amuri & Stiranza

Pierre Vaiana (sax), Artan Buleshkaj (g), Lode Vercampt (cello), Boris Schmidt (b), Lionel Beuvens (d)

Label / Distribution : Home Records

Après le succès de Trinacle au sein duquel, dans les années 80, il revisitait essentiellement le répertoire de Monk en compagnie du batteur Félix Simtaine et, à la contrebasse, le tout jeune Hein Van De Geyn (ou, à l’occasion, Riccardo Del Fra), Pierre Vaiana est parti, de 1986 à 1990, aux États-Unis où il va étudier avec Joe Lovano (lui au saxophone, Joe à la batterie). Face à l’afflux de ténors expérimentés, il a alors opté pour le seul soprano.
En 1993, il enregistre Shakra pour le label CELP, avec une rythmique américaine : Michael Formanek à la contrebasse et Jeff Hirshfield à la batterie et, au piano, le Sicilien Salvatore Bonafede : un premier retour à ces racines méditerranéennes dont se réclame aussi Joe Lovano (album Viva Caruso).
Pierre part ensuite en Afrique, de 1995 à 99, et fonde Foofango mais il garde à l’esprit cet attachement à la Sicile de ses grands-parents : « À mon retour d’Afrique, j’ai décidé de travailler sur les musiques de la Méditerranée, particulièrement de l’Italie du Sud et de la Sicile. Dans la classe de Giovanna Marini à l’Université de Paris VIII, j’ai étudié les chants de la tradition orale de l’Italie du Sud. Ensuite, en 2000, je suis allé en Sicile où on m’a parlé des chants de charretiers. J’ai rencontré ces chanteurs et on a fait un disque de cette culture orale. Je m’intéresse beaucoup à cette tradition-là parce que mon grand-père était charretier en Sicile, c’est donc un héritage de famille. C’est la culture méditerranéenne qui m’a formé, c’est elle qui va rester toute ma vie » (interview Citizen Jazz, juillet 2008).

Il enregistre ainsi Porta del Vento, en compagnie de son groupe Al Funduq, en 2007, avec, notamment, Fabian Fiorini au piano et Carlo Rizzo aux tambourins puis, en 2009, Al Funduq al-Mughannin (L’Auberge des chanteurs) avec Salvatore Bonafede et le Sarde Manolo Cabras à la contrebasse. Il retrouve ensuite Bonafede pour Itinerari Siciliani, en partie en duo, en partie avec Manolo Cabras à la contrebasse.
Après la longue expérience du trio L’Âme des Poètes, avec Fabien Degryse (g) et Jean-Louis Rassinfosse (cb), qui lui a permis de revisiter le patrimoine de la chanson française, voilà qu’il revient à ses racines siciliennes. Il retourne à Palazzo Adriano, le village de ses grands-parents, qui, avec ses deux églises et sa fontaine, a servi de décor au film Cinéma Paradiso : un paysage fait de montagnes (« Bianca Muntagna »), d’eaux tumultueuses (« Acqua »), de bourrasques de vent (« Vento ») ou de sable (« Sabbia »), tout ce qui fait l’attrait de la région de Palazzo Adriano (« Palazzo Adriano finalmente »).
Il croise aussi des personnages hauts en couleurs comme l’ancien barbier Don Camelino, fier de son grand âge et qui nargue la mort (Non ho l’intenzione di morire) ou l’aviné Giufà qui aime répéter « semmu ricchi e nuddu u sapi » (Nous sommes riches mais personne ne le sait).

Pierre relate toute l’importance du rêve, notamment chez sa grand-mère : chaque composition originale se présente ainsi comme un « rêve éveillé ». Il se remémore aussi sa ville natale, Waterschei, au cœur de ce Limbourg hérissé de puits de mine, avec ces gueules noires qu’il a déjà célébrées dans le projet Sonastorie de son ami italo-belge Antoine Cirri.

Pour clore l’album, Amuri & Spiranza qui fait référence à un dicton sicilien : « L’acqua si ni va’nta la pinnenza/ L’amuri si ni va unni c’é spiranza ». Et, pour finir, un chant populaire « Adasciu Adasciu ». Pour ce projet, une toute nouvelle équipe.
A la guitare, Artan Buleshkaj, natif du Kosovo. Fixé à Gand, il fait partie du trio LAS avec le violoncelliste Lode Vercampt et le saxophoniste Steven Delannoye (album Honronculus) et de HAST, avec le saxophoniste Rob Banken (Elegy).
Au violoncelle, Lode Vercampt, un élève du Conservatoire de Gand qui a côtoyé Kris Defoort comme Wim Mertens. Il a enregistré en duo avec le trompettiste Bart Maris et, en quartet, pour le groupe RadioKukaOrchest, avec Kristof Roseeuw (cb), Tom Wouters (bcl) et Philippe Thuriot (acc).
A la contrebasse, Boris Schmidt qui a d’abord accompagné différentes chanteuses, comme Natasha Wuyts, Fanny Bériaux ou Chrystel Wautier. Il fait partie d’un quartet avec le guitariste Lorenzo Di Maio, du sextet de Fabrizio Graceffa et du trio du pianiste Martin Salemi.
A la batterie, le très sollicité Lionel Beuvens (une trentaine de formations à son actif), que ce soit en compagnie de sa sœur Eve, de Margaux Vranken (p), Anne Wolf (p), Sabin Todorov (p) ou Lorenzo Di Maio (g). Il a également fondé le groupe Motu, avec le trompettiste finlandais Kalevi Louhivuori.

Tout au long de l’album, existe un bel accord entre soprano et violoncelle (Pierre avait déjà joué avec un violoncelle, le Brésilien Jaques Morelenbaum, au sein du sextet de Myriam Alter). Les mélodies sont empreintes de sérénité, d’atmosphère contemplative (« Waterschei », « Non ho l’intenzione di morire »), mais parfois le tempo s’emballe (« Acqua »), devient saccadé (« Giufà ») ou se mue en tango (« Palazzo Adriano finalmente »). La guitare a aussi ses emportements avec des explosions électriques (« Vento », « Sabbia ») dans un contraste de couleurs assumé. Une musique qui navigue entre amour et espérance, tradition et modernité.