Chronique

Pierrejean Gaucher

Melody Makers II

Pierrejean Gaucher (g), Clément Petit (vlc), Cédric Affre (dms, perc).

Label / Distribution : Musiclip / Socadisc

Pierrejean Gaucher appartient à la noble caste des passeurs qu’on ne saurait enfermer sans risque dans le coffre aux étiquettes un peu trop vite collées. Et même s’il a été commode de le ranger dans le rayon jazz fusion (avec son groupe Abus dans les années 80, en particulier), son New Trio, un peu plus tard, brouillait les pistes dans un hommage à Frank Zappa, démiurge lui-même inclassable.

Il y a du jazz. Il y a du rock. Il y a de la musique, tout simplement, virtuose et fruit d’un travail minutieux, aux arrangements sculptés avec soin pour mieux porter la mélodie qui est le cœur de son propos. Melody Makers II, en trio avec le violoncelliste Clément Petit (qui co-signe toutes les compositions avec Gaucher) et le batteur Cédric Affre, est une nouvelle pièce à verser au dossier d’un guitariste dont on aimerait beaucoup que le talent éclate au grand jour. Car du talent, Gaucher en a à revendre, nul ne pourra le lui contester et encore moins ceux qui auront prêté une oreille attentive à ce second épisode proposé par un trio inventif.

Gaucher, Petit et Affre ont amorcé en 2008 une collaboration qui a donné naissance en 2010 à un premier album, Melody Makers, ce qui, au vu du titre de leur nouvel album, semble plutôt logique. Un album hommage à de vieilles amours, une re-création de hits ayant durablement marqué leur mémoire. Étaient ainsi revisités Radiohead, The Police, David Bowie, Elvis Costello, Led Zeppelin, Deep Purple, sans oublier ces maîtres de la mélodie que furent les Beatles. Avec cette nouvelle forme de fusion, qui injectait une bonne dose de British pop dans l’alliage premier du rock et du jazz, le trio marquait sa différence avec d’autant plus de clarté que sa formule sonore était plutôt inédite : un travail autour du violoncelle, peu courant dans l’univers du jazz et des musiques électriques, histoire d’inventer une autre esthétique, d’avancer vers de nouveaux horizons : « un matériau pop et une façon de jouer jazz ».

Avec Melody Makers II, Pierrejean Gaucher cherche une nouvelle synergie, celle de la complémentarité qu’il instaure avec Clément Petit dans l’écriture des compositions (sur la vidéo incluse, il établit – en toute modestie – un parallèle avec celle qui unissait John Lennon et Paul McCartney). Car tout ici est matériau original, modelé d’abord à quatre mains avec la volonté de renouveler complètement le travail mis en œuvre sur le premier album. Le trio fonctionne en vraie fusion, mais celle-là est humaine, au-delà des différences d’âge (Gaucher étant en quelque sorte l’ancien) et, par conséquent, des références musicales différentes. Le duo Gaucher/Petit entraîne Cédric Affre dans la danse, le batteur stimulé se sent poussé vers de nouvelles expérimentations. Les variations de climats imposées par les compositions sont parfois brusques : on passe en quelques instants d’une douceur mélodique soyeuse à de violents soubresauts proches du hard rock, histoire d’embarquer le violoncelle vers des sphères où son répertoire habituel ne l’a pas habitué à évoluer. Toujours cette volonté de bousculer les habitudes et de s’affranchir des stéréotypes. Cependant, on devine chez Pierrejean Gaucher un sourire radieux dans cette belle entreprise de bousculade, on est certain que les regards entre les musiciens sont empreints d’une complicité qui ne devrait pas en rester là.

Melody Makers II a l’élégance de ses ambitions : ne pas répéter ce qui a déjà été fait, allier l’énergie du rock à la précision mélodique et la liberté du jazz. Il y a dans ce disque à la production soignée un classicisme électrique de très belle facture, qui donne naissance à un oxymore musical séduisant.

Melody Makers