Chronique

Ping Machine

Ubik

Label / Distribution : Neuklang / Harmonia Mundi

Ping Machine disposait de deux heures de musique écrite entre 2013 et 2015. Or, pour Fred Maurin, leader de ce big band, « un disque est l’image d’un groupe à un instant T ». Il était donc indispensable de publier au même moment l’ensemble de cette musique, qui a par ailleurs fait l’objet d’une commande du Ministère de la Culture. Un double album fut d’abord envisagé. Mais le format est économiquement peu viable et le choix s’est donc porté sur la publication simultanée de deux disques.

Sans ces informations, on croirait (l’auteur de ces lignes inclus) deux projets différents dont un, Easy Listening, qui est effectivement plus facile d’accès. Peut-être parce que Ubik sort en grande partie des canons de l’écriture musicale ? Fred Maurin est, à cet égard, on ne peut plus explicite : « avec des techniques qui permettent de sortir du tempérament égal à douze tons, on peut entrevoir l’infini qui existe entre les éléments de cette grille [les couleurs associées à l’écriture tonale] et faire apparaître des couleurs totalement inhabituelles ».

Le projet révèle une vivacité intellectuelle assez géniale sans que nos oreilles souffrent de cette étrangeté. D’abord parce que l’usage des techniques spectrales n’est pas nouveau et, de Gérard Grisey à Tristan Murail, nombreux compositeurs les ont adoptées. Ensuite parce que l’harmonie n’est pas réservée au tempérament en douze tons. D’ailleurs, si on s’émerveille devant le chant des oiseaux, on conviendra qu’il n’est traduisible dans les douze tonalités qu’au prix de son appauvrissement. C’est pour éviter ce carcan que Fred Maurin a composé cette œuvre en s’affranchissant des codes d’écriture qui constituent la norme depuis le XIXe siècle. Mais au bout de ce cheminement intellectuel, le résultat n’est pas l’illustration inesthétique d’un esprit qui serait accaparé par la question de la technique d’écriture. Bref, disons-le clairement : c’est beau.

Dans cet album qui questionne le format musical, l’unité est programmatique. Car le découpage en quatorze plages ne correspond pas au projet de Ping Machine. Ubik est une seule pièce qui s’écoute d’un bout à l’autre des 65 minutes qui la composent. La division en pistes est une concession afin que les radios puissent en diffuser des morceaux, mais ceux-ci sont des extraits d’une entité non fractionnable. Cette concession à la forme n’a aucune incidence et le projet initial n’en est pas affecté puisque, à l’écoute de l’album, les différentes pistes se succèdent sans que nous y entendions la moindre rupture. Ce continuum débute par un maelström de sons eux-mêmes doublés par un mouvement de très longues notes murmurées. Ces murmures, omniprésents, constituent une grande part de l’identité de ce disque qui peut être vu comme une grande respiration. Ce n’est pas non plus sans un psychédélisme doux, fait de transe et de mouvements oniriques auxquels il faut s’abandonner. Murmures, respirations, rêve, tout ici évoque une grande sérénité et le systématique va-et-vient entre dissonances et consonances stimule la narration. Pour le coup, il faut accepter de laisser aller son imaginaire car rien n’est prescrit. Il y a des moments plus brusques, à l’image d’une grande partie de la quatrième piste qui donne à voir un mouvement crescendo mené par une trompette fureteuse, ou encore du final qui clôt cet album qui déstructure pour construire autrement.

par Gilles Gaujarengues // Publié le 17 juillet 2016
P.-S. :

Bastien Ballaz (tb), Stéphan Caracci (marimba, vb), Guillaume Christophel (clb, bs), Andrew Crocker (tp, flugelhorn), Jean-Michel Couchet (as), Fabien Debellefontaine ((f, cl, as), Florent Dupuit (f, f alto, piccolo, ts), Quentin Ghomari (tp, flugelhorn), Didier Havet (tb bass, tuba), Paul Lay (p), Rafaël Koerner (d), Frédéric Maurin (g, g baritone, synthétiseurs, max 7, dir), Fabien Norbert (tp, flugelhorn), Raphaël Schwab (b), Julien Soro (cl, ts)