Chronique

Orchestre National de Jazz

Rituels

Label / Distribution : ONJAZZ Records

Une œuvre kaléïdoscopique dans une démarche panoramique, voilà comment on pourrait définir Rituels, l’ambitieux double-album rouge du nouvel Orchestre National de Jazz de Frédéric Maurin. Un éloge du multiple, et de la mixité ; huit femmes dans un orchestre dirigé par le guitariste qui ne joue pas, mais surtout quatre morceaux écrits par des musiciennes, autant par des musiciens. On aimerait que ces faits soient si normaux qu’on n’ait besoin de les écrire. Ce n’est pas encore le cas, alors claironnons-le. Principalement tirés du livre Les Techniciens du Sacré de Jérôme Rothenberg, les textes utilisés embrassent les folklores du monde comme une transe universelle où la voix est la clé d’un mysticisme débarrassé des croyances. Ecce Homo, dans toute sa multitude et dans toutes ses voix, du baryton Romain Dayez à Ellinoa en passant par Linda Oláh, qui donnent à cet orchestre une dimension très particulière. La complémentarité des vocalistes, le jeu des phonèmes et des rythmes crée une poésie affranchie de la langue, devenue un instrument collectif parmi les autres, qui répond notamment à un quatuor à cordes où s’illustrent la violoncelliste Juliette Serrad (Wanderlust Orchestra) et le contrebassiste Raphaël Schwab (Ping Machine).

Un caractère empreint de magie, du « Monde Fleur » écrit par Sylvaine Hélary à ces deux parties de « Rituel » écrites par Fred Maurin. Les atmosphères sont différentes mais les frontières sont impalpables, comme sont les relations entre les cordes et les vents. Chez Hélary, c’est le trombone de Christiane Bopp qui se révèle un lumineux sésame. La longue pièce centrale de Fred Maurin, très marquée par la musique contemporaine, s’ourle d’un chaleureux passage de témoin entre Leïla Martial, Susanna Santos Silva et Guillaume Roy. Dans la formation réunie par le directeur de l’ONJ, il y a de nombreuses têtes chercheuses, connues pour leur rigueur et leurs univers forts. C’est avec une grande cohérence qu’elles s’additionnent dans une musique qui se nourrit d’images. C’est peut-être dans le second album que l’alchimie est la plus forte, notamment avec ce « Femme Délit » écrit par Leïla Martial qui habite littéralement l’album. Le morceau est profond, tant sémantiquement que musicalement, loin des récitations à la mode. C’est une quintessence bondissante qui célèbre toutes les voix de l’album et qui perdure dans « Naissance(s) de la nuit », douce pérégrination d’Ellinoa dans le clair-obscur qu’elle affectionne, en compagnie du vibraphone de Stéphan Caracci.

Entre le disque vert et le rouge, l’ONJ a changé, de forme et de physionomie, ajoutant des cordes à un arc que Fred Maurin a voulu collectif. Il serait aisé voire confortable de les opposer : ce serait compter sans le facteur humain, qui est au centre du projet mené par le guitariste. Rituels est enregistré dans les studios Bauer qui ont forgé le son de Ping Machine, Dancing in Your Head(s) était en live. Rituels est fait de voix, de cordes, et du chant bâtisseur de la batterie de Rafaël Koerner ; son frangin vert était fait de souffle et d’électricité. C’est un miroir qui est tendu au jazz français et européen dans toute sa vivacité ; les deux faces, plutôt que se regarder en chiens de faïence, échangent hardiment. Lorsqu’on écoute « La Métamorphose » de Grégoire Létouvet où Linda Oláh et Romain Dayez ferraillent ensemble dans une tension charnelle, soutenue par la clarinette de Catherine Delaunay, on comprend que les facettes sont riches et multiples et regardent partout, des Rugissants à Archimusic, de Ping Machine à l’ARFI. Rituels est un disque qui hante, littéralement. Et qui résistera à quitter la platine.

par Franpi Barriaux // Publié le 6 septembre 2020
P.-S. :

Fred Maurin (comp, dir), Sylvaine Hélary, Gégoire Létouvet (comp), Ellinoa, Leïla Martial (voc, comp), Linda Oláh, Romain Dayez (voc), Catherine Delaunay (cl, cor), Julien Soro (as, cl), Fabien Debellefontaine (ts, fl), Susana Santos Silva (tp), Christiane Bopp (tb), Didier Havet (tu, btb), Stéphan Caracci (vib, mar), Rafaël Koerner (dms), Bruno Ruder (p), Elsa Moatti (vln), Guillaume Roy (vla), Juliette Serrad (cello), Raphaël Schwab (b)