Entretien

Ramon Lopez

… blanche au Petit Faucheux (Tours)

Ramon Lopez s’est vu proposer par Bernard Aimé une carte blanche de six concert les 25, 26 et 27 janvier 2008. Du trio connu aux rencontres inédites, Lopez a bien su s’entourer pour cette carte blanche à caractère exceptionnel.

  • Le Petit Faucheux te donne une Carte Blanche pour six concerts en trois jours. Tu as donc choisi six formations différentes, dont une régulière (Fernandez/Lopez/Guy). Mais l’essentiel des artistes avec qui tu joues sont présents. Pourquoi ces choix ? As-tu reçu des directives ?

C’est Bernard Aimé qui m’a invité. Il était parti sur le principe de trois concerts en trois jours. Je lui ai proposé de densifier la formule en faisant six concerts. J’avais la possibiliité de le faire. Du coup, j’ai pensé aux gens avec qui j’ai sorti des disques dernièrement ou avec qui je tourne. Avec qui il y a une bonne entente sur scène. Ces six concerts offraient un plus grand éventail de mon travail. Pour finir, avec deux concerts de suite on pouvait raconter une histoire au fil de la soirée.

  • Tu nous présentes cette carte blanche ?

Je l’ai appelée « Between and more ». « Between » car il y a deux trios autour de deux instruments : « Between Two Pianos » avec Sophia Domancich et Christine Wodrascka et « Between Two Basses » avec Claude Tchamitchian et Paul Rogers. Je n’ai pas essayé de créer ces deux formations pour la forme, mais plus en fonction des personnes. Je travaille avec Christine depuis longtemps - un deuxième disque en duo va sortir. Je joue aussi depuis longtemps avec Sophia. C’est leur personnalité qui m’a donné envie de faire ces formations, et non la symétrie.

Daunik Lazro et Claude Tchamitchian sont des gens avec qui je joue beaucoup à travers différentes formations. Avec Daunik, j’ai fait l’ONJ de Didier Levallet entre 1997 et 2000 où il était souvent invité. J’ai aussi joué avec lui dans le septet Lousadzak de Claude Tchamitchian. Cette formation, avec Daunik et Claude, est presque inédite car nous avons joué une seule fois en trio. A priori, le concert sera improvisé et c’est ce que je proposerai aux musiciens.

« Between Two Pianos » : Sophia et Christine sont des artistes que j’aime beaucoup. Les entendre créer leur musique dans leur propre univers m’inspire beaucoup. Alors les réunir et jouer avec elles peut donner quelque chose de magnifique.

« Between the Mediterraneans – Oh quelle chaleur ! » avec Majid Bekkas, chanteur et joueur de gembri marocain de tradition gnawa : C’est un musicien que je respecte beaucoup et avec qui j’ai joué en duo au festival de Perpignan. Depuis, on a participé à divers groupes, à Rabat, avec des musiciens de flamenco et Beñat Achiary. Finalement on joue peu ensemble, hormis en ce moment, en trio avec Joachim Kühn pour le CD Kalimba. Nous avons notre façon d’improviser qui se base sur les basses et les chansons gnawa, où la part d’improvisation est grande. C’est aussi un duo d’ouverture musicale, un échange entre deux mondes (batterie jazz et improvisée/ musique traditionnelle gnawa).

J’ai joué avec beaucoup de musiciens traditionnels : le flamenco ou la tradition indienne - que j’ai, d’ailleurs, beaucoup étudiés. Et Majid est un des rares musiciens qui sache s’ouvrir, improviser, sortir de son monde. D’un autre côté, je comprends parfaitement que ce soit difficile. Quand on va très loin dans la musique ancestrale, on n’a pas accès à toutes les musiques improvisées. C’est ce qui l’a poussé, probablement, à s’y intéresser : la première fois que je l’ai vu, il improvisait au gembri et au chant avec Peter Brötzmann et Hamid Drake !

Le trio avec Barry Guy et Agusti Fernandez : je dois dire que je suis très fier de jouer avec Agusti. C’est un des rares musiciens espagnols qui fasse une carrière internationale tout en restant dans son pays, et sans faire de jazz revival (phénomène qui sévit actuellement en Espagne). C’est un musicien de niveau incroyable. C’est lui qui a eu l’idée de monter ce trio avec Barry. J’étais en contact avec lui car nous avions collaboré sur différents projets avec des musiciens espagnols en Espagne. De plus, tous les deux participaient à beaucoup de projets communs.

Pour ce trio, le mode de fonctionnement est le suivant : sur de petites thématiques très simples, on improvise avec pour consigne la retenue. Ne pas rentrer dans un mode très free, très mouvementé - là où on nous attend, finalement. Ainsi on a trouvé des espaces vertigineux où l’on se sent très bien. Puisque c’est la première fois qu’on joue en France, il y aura probablement des morceaux du répertoire.

Ramon Lopez © F. Journo

Depuis que je suis en France, le contrebassiste avec lequel j’ai le plus souvent joué et avec qui j’ai men les projets qui m’ont tenu le plus à cœur, comme Songs of the Spanish Civil War, c’est Paul Rogers. Avec Claude Tchamitchian, j’ai eu l’occasion de faire beaucoup de musiques de scène (ma dernière création au Pays Basque avec une chorale, par exemple), ou ses divers Lousadzak, au fil des ans. Il est le contrebassiste avec qui je joue le plus souvent en ce moment. Chacun a une personnalité, un son. Le son est très important ! Pour sortir un son, c’est toute une vie de musique.

Enfin, le jazz quartet « Des grenouilles qui chantent » : Les grenouilles sont Beñat Achiary et Médéric Collignon. Encore deux sons, deux styles, deux personnages très différents. Bernard Lubat sera au piano. Ce quartet a déjà joué l’année dernière au festival « Jazz Nomades », organisé par Blaise Merlin aux Bouffes du Nord à Paris. Ce concert a déclenché l’envie de provoquer des rencontres, d’où ces ces six concerts. C’est ce qui se passe pour des gens comme Sophia et Christine, Beñat et Médéric, Paul et Claude, Bernard et moi. Nous n’avons pas souvent l’occasion de jouer ensemble autrement.

Pour terminer, j’ajouterai que quand j’invite des gens à jouer, je ne leur dis jamais ce qu’ils doivent faire - pas la plus petite idée. Je les aime et je leur fais totalement confiance. Leur naturel est un préalable à la musique. Ce qu’ils doivent amener, c’est ce qu’ils sont, en fait. Cette carte blanche sera en elle-même une musique improvisée.

  • Dans ta discographie récente, on décèle un intérêt très fort pour le piano, comme si tu voulais établir une relation avec cet instrument et ta batterie ?

C’est vrai que récemment, j’ai plus joué avec des pianos. Mais ce n’est pas directement lié à l’exploration de cet instrument. J’aime aussi les autres instruments. Mais par-dessus tout, j’aime communiquer dans l’instant. On s’adapte aux résonances du piano, à sa façon de bouger. C’est un grand générateur de sons et de rythmes, sa tessiture est extraordinaire. Quand tu rencontres quelqu’un comme Christine, qui explore au maximum les sonorités de son instrument, et comme on fait plus dans l’improvisation que dans le jazz « straight », le piano est particulièrement généreux. C’est une sorte de synthétiseur acoustique. Un peu comme la batterie, où l’on peut entendre des micros-sons : les cymbales, les peaux, la préparation de l’instrument, les combinaisons entre toutes ces choses. Le piano est doté d’une grande respiration, il fait il m’inspire beaucoup. Je suis dans le même état d’esprit avec les autres instruments mais là, c’est frappant.

  • As-tu des attentes particulières de la part de ces instruments ?

Non, je laisse libre les musiciens de leurs choix. Je les appelle en fonction de leur personnalité, leur générosité, leur humanité. Puis en fonction de leur musique, mais tout cela est très lié. En fait, écoute deux notes des musiciens qui vont participer à cette carte blanche et tu les reconnaîtras tout de suite.

J’aime découvrir de nouveaux musiciens puis rejouer avec eux. Je voyage toujours à l’étranger. Là, je reviens de New York, où j’ai fait des gigs avec des musiciens que je connais peu ou mal. Ça démarre avec une tentative et on poursuit si on s’entend bien. Ces rencontres permettent de nouvelles découvertes sur l’instrument. C’est quelque chose de personnel, des inspirations ou des mouvements de batterie que tu n’aurais pas eu autrement. Une nourriture. Avec les gens avec qui je joue depuis quinze ou vingt ans, c’est toujours le même échange.

  • Un jour, lors d’une discussion informelle, tu as dit qu’à un moment il s’était produit un déclic chez toi - que de batteur rythmicien tu étais devenu, en quelque sorte, batteur musicien, ou sonore. Tu as pris conscience de ce changement. Sans fausse ou vraie modestie, tu peux nous en dire plus ?

Pratiquer un instrument de musique prend énormément de temps. Un batteur rythmique doit travailler, apprendre pendant quinze ou vingt ans. Pendant cette période, ses préoccupations sont plutôt pratiques, matérielles : les aspects techniques, les goûts musicaux, tes choix de carrière… ce sont des centaines de questions que tu te poses. On est préoccupé par les formes, on veut bien faire, on est en représentation. On veut se donner sur trop de choses, donner des noms aux choses… Et tout cela dérange ta musique, tu n’es pas libre, en fait. J’ai 46 ans, j’ai dépassé tout ça. Lorsque j’ai pratiqué le jazz, je me suis rendu compte que les sensations n’étaient plus les mêmes. Dans le jazz, tu acceptes des principes, tu ne luttes pas contre. Et pour arriver à cela, il m’a fallu du temps !

Prenons le karaté comme exemple ! Tiens, sais-tu que je pratique le karaté depuis cinq ans ? J’essaie toujours de pratiquer deux fois par semaine entre les concerts. C’est plus qu’un sport, cela m’apporte beaucoup. C’est une façon de vivre. Ça m’a vraiment beaucoup aidé ; et j’ai établi certaines relations très précises avec la musique : l’action, la retenue, l’autre, la respiration (où j’ai fait énormément de progrès). Eh bien, j’ai aussi arrêté la dispersion dans mon travail de musicien. Il faut aller vers les choses sans précipitation, en les apprivoisant, humblement. Cela te permet d’évoluer petit à petit, de t’engager, de faire des choses personnelles, de créer. Et ça donne un solo avec des portes !!! [1] Ça a une signification : les portes s’ouvrent et se ferment. Tout cela s’est fait de manière naturelle. Or, en impro, tu dois te sentir complètement libre pour que tout soit naturel et participe au même son. Tu composes dans l’instant. Et tu ne peux pas penser à autre chose, tu ne peux pas te dire : dans deux minutes je fais ceci ou cela ! Car ça n’a pas de sens et ça ne marchera pas.

Enfin, tout ne s’est pas passé en un déclic, du jour au lendemain. Mais dans ma conscience, il ya des choses qui sont restées. Par exemple, quand je me suis essayé à la batterie solo. Là j’ai senti des choses, car j’ai eu de la chance de jouer pas mal à cette période. J’ai entendu des sonorités que j’arrivais à reproduire, cela m’a amené à m’ouvrir vers d’autres musiques, d’autres musiciens. Pour finalement, m’emmener ailleurs. Voilà pour l’avant et l’après ! Tout en restant concentré à 100% dans la musique. Avec ses réussites et ses ratages.

par Jérôme Gransac // Publié le 21 janvier 2008
P.-S. :

Carte blanche à Ramon Lopez :
Le Petit Faucheux,
12, rue Léonard de Vinci
37000 Tours
tel : 02 47 38 67 62

25/01 :

  • 1 [Jazz trio & More] - « Une cage pleine de lucioles »
    Daunik Lazro saxophones
    Claude Tchamitchian contrebasse
    Ramon Lopez batterie, percussions
  • 2 [Between two pianos] - « Teintes des fleurs » (RL)
    Sophia Domancich piano
    Christine Wodrascka piano
    Ramon Lopez batterie, percussions

26/01 :

  • 3 [Between the Mediterranean] - « Oh ! quelle chaleur ! »
    Majid Bekkas guembri, voix
    Ramon Lopez batterie, percussions
  • 4 [Aurora & more] - « Est-ce la lune qui a chanté ? »
    Agusti Fernandez piano
    Barry Guy contrebasse
    Ramon Lopez batterie, percussions

27/01 :

  • 5 [Between two basses] - « De la rougeur du piment »
    Paul Rogers contrebasse
    Claude Tchamitchian contrebasse
    Ramon Lopez batterie, percussions
  • 6 [Jazz quartet & more] - « Des grenouilles chantent »
    Beñat Achiary voix
    Médéric Collignon trompette, voix
    Bernard Lubat piano
    Ramon Lopez batterie, percussions

[1Cf Swinging with Doors (Leo, 2005)