Chronique

Renaud Garcia-Fons & Claire Antonini

Farangi (du Baroque à l’Orient)

Claire Antonini (théorbe, luth), Renaud Garcia-Fons (b, perc, comp, arr).

Label / Distribution : E-motive records

La carrière musicale de Renaud Garcia-Fons évoque une route enchantée. Par la beauté des paysages qu’elle dessine, par le sentiment de plénitude qui vous gagne à son écoute, mais aussi par les rencontres qu’elle lui a permis de concrétiser d’étape en étape. En une quinzaine d’albums publiés sous son nom depuis le début des années 90, le contrebassiste – qu’on qualifie souvent et à juste titre de virtuose – a su imposer un style, fortement imprégné par les musiques méditerranéennes (Arcoluz, Entremundo, La Linea Del Sur) et une approche de l’instrument dont il exploite toutes les richesses, harmoniques ou rythmiques, avec ou sans archet. Chez lui, la contrebasse est un instrument total, un orchestre en lui-même dont les accents sont volontiers orientaux, ainsi que le suggérait Oriental Bass en 1997. Son album Solo – The Marcevol Concert, enregistré au mois de septembre 2011 au Prieuré de Marcevol en pays catalan, est sans doute l’une de ses plus belles cartes de visite, un moment de musique puissant et recueilli. On l’a dit, l’homme comme le musicien ont l’esprit voyageur et sa discographie en est le témoignage incontestable, à l’image de Navigatore paru en 2001 qui semblait vouloir survoler tous les continents et imaginer un langage universel.

Au cours de la période récente, Renaud Garcia-Fons s’est impliqué dans des formules en duo : avec le Stambouliote joueur de kemence Derya Türkan pour un Silk Moon dont nous n’avions pas manqué de souligner les beautés ; aux côtés du pianiste de flamenco Dorantes, dans un étourdissant Paseo A Dos. C’est aujourd’hui dans le cadre d’une nouvelle conversation à deux qu’on le retrouve aujourd’hui, en compagnie de Claire Antonini. Cette luthiste, diplômée du Conservatoire Supérieur de Musique de Lyon, se produit comme soliste ou accompagne des grands noms du chant, tel Philippe Jaroussky. Elle a de surcroît étudié la musique traditionnelle persane et pour cette seule raison avait bien des chances de croiser la route du contrebassiste. Deux passionnés virtuoses pour un double voyage dans le temps et dans l’espace.

Leur disque a pour titre Farangi, mot qui désigne le voyageur venu d’Occident en persan. Il est sous-titré Du Baroque à l’Orient. Tout est dit : ce disque vous emmènera en Turquie, en Iran mais aussi en Italie, pays de naissance du théorbe, ce grand luth dont joue Claire Antonini. Vous remonterez le temps pour plonger çà et là dans un grand bain dont les effluves sont ceux de la musique baroque. Vous danserez avec un chameau ou au milieu d’un cercle d’amoureux. Vous fêterez un ciel étoilé. Vous cheminerez au pas lent d’une caravane. Un long et beau voyage au gré de rythmes multiples et complexes, plus ou moins soutenus, dans une démarche incitant à la contemplation.

Si les dix-neuf compositions de Farangi sont toutes signées Renaud Garcia-Fons, dont on a appris à connaître depuis près de 30 ans le sens aigu de la mélodie et du chant, c’est la complicité naturelle du théorbe et de la contrebasse qui émerveille cette fois. Une évidence ! Toutes les frontières – stylistiques et géographiques – sont abolies, chaque musicien se mettant au service d’un itinéraire onirique dont on ne sait s’il raconte hier, aujourd’hui ou demain. C’est une fois encore l’idée de musique intemporelle, magnifiée par la multiplication, le caractère mouvant et l’intrication des couleurs instrumentales (« Ici la contrebasse se fait ney, le théorbe se fait setar ») qui prédomine. Si Renaud Garcia-Fons nous a accoutumés à un tel dépassement, on lui sait gré de poursuivre une quête grâce à laquelle il peut atteindre un nouveau sommet par sa collaboration avec Claire Antonini, dont la hauteur de vue rivalise avec la sienne.

Farangi n’est pas un disque de jazz, même s’il laisse la place à l’improvisation ; il n’est pas plus un disque de musique classique ou traditionnelle, aux sources desquelles il puise pourtant abondamment. Il est un disque universel, un disque pour tous les amoureux de la musique. Tout simplement.