Robin Verheyen
Robin Verheyen s’est rapidement fait une place dans le jazz européen, notamment aux côtés de Dré Pallemaerts, Pierre Van Dormael ou Bill Carrothers. Il partage actuellement sa vie entre New York, Paris et Bruxelles.
Le saxophoniste Robin Verheyen est né en 83 à Turnhout en Belgique. Après avoir suivi des études de musique avec Franck Vaganée, Jasper Blom ou encore John Ruocco, en Belgique et aux Pays-Bas, il s’est rapidement fait une place dans le jazz européen, notamment aux côtés de Dré Pallemaerts, Pierre Van Dormael ou Bill Carrothers. Il partage actuellement sa vie entre New York, Paris et Bruxelles.
- Comment arrives-tu à gérer tous ces différents projets en même temps ? Il y en a beaucoup et dans différents pays, en plus.
J’essaie d’organiser ça comme je peux (rires). Je fais tout, tout seul. En ce qui concerne les tournées en Europe, en tout cas… J’essaie de grouper les concerts d’un de mes groupes sur deux ou trois semaines, et avec l’autre les semaines suivantes. Histoire de ne pas trop me disperser. En ce qui concerne New York, la situation est différente, bien sûr. Je ne suis pas leader, je joue avec différents groupes et nous avons les gigs que chacun déniche.
- Ton groupe principal, au départ, c’était quoi ?
Mon trio. Puis, rapidement, Narcissus est devenu le groupe principal, avec Clemens van der Feen, Flin van Hemmen et Harmen Fraanje. Actuellement je joue dans un autre quartette important, avec Rémi Vignolo, Dré Pallemaerts et Bill Carrothers. Et quand je trouve le temps, j’organise des gigs avec Orvalecticq.
- Quelles sont les différences entre ces groupes ? L’approche, les objectifs ?
Oui. Narcissus est un groupe d’ouvertures, de liberté, de recherche. Le quartette avec Bill est peut-être plus orienté vers la tradition, du moins au départ et cela, dans le but d’aller plus loin.Là, je privilégie sans doute plus les compositions. On est plus dans une orientation « songbook », même si on se laisse beaucoup de libertés. Avec Orvalecticq, il s’agit de longues compositions très évolutives, avec pas mal d’influences électroniques…
- Robin Verheyen © Jos Knaepen/Vues Sur Scènes
- Ton premier trio a été la base de Narcissus ?
Pas tout à fait. Je jouais d’abord avec Toon Van Dionant et Guus Bakker. Narcissus a commencé également en trio, mais ce n’était pas le même personnel. Je jouais beaucoup à Amsterdam avec Clemence van der Feen. Puis, un jour, Harmen Fraanje s’est joint à nous. On a enregistré et le trio - devenu quartette - s’est appelé « Narcissus ». Car dans ce groupe, tout le monde compose. Et j’en suis devenu le co-leader. Ce qui n’est pas le cas avec mon nouveau quartette, où je compose pratiquement tout, même si il y a beaucoup d’interventions collectives.
- Tu as étudié à Amsterdam ?
Oui, pendant deux ans. Mais Harmen, c’est à Anvers que je l’ai rencontré.
- Puis tu es parti à Paris… et à New York…
Oui, après Amsterdam j’ai passé quelque temps à Paris. Je connaissais Alexandra Grimal et de fil en aiguille, j’y ai rencontré plein d’autres musiciens. Comme les contacts se passaient bien, j’ai décidé de continuer l’expérience. Je n’avais rien à perdre de toute façon. Par la suite, j’ai obtenu une bourse pour aller à New York. Comme je rêvais de cela depuis longtemps, j’ai saisi ma chance.
- Dans le but de rencontrer d’autres musiciens et d’apprendre avec eux ?
Oui, mais aussi d’essayer autre chose, d’être inspiré par différentes choses aussi.
- On dit qu’à Paris, le milieu est assez fermé, qu’on n’y trouve pas sa place facilement.
Oui, c’est vrai, mais c’est comme ça partout. À Paris, je connaissais aussi Nelson Veras et Rémi Vignolo. Avec eux j’ai rencontré plein de gens. Je ne suis pas resté assez longtemps pour développer un vrai projet mais je travaille toujours avec des musiciens qui y vivent, comme Rémi ou Nelson, mais aussi Aki Rissanen, un pianiste finlandais. Je continue à travailler aussi avec Giovanni Falzone, Bruno Angelini…
- Paris, c’est un endroit où tu peux rencontrer plus de musiciens qu’ailleurs ?
Oui, c’est un peu comme New York… mais en Europe.
- D’où l’idée d’aller encore plus loin, et donc à New York ?
Oui, j’avais passé une audition à Bruxelles pour le Belgium American Education Fondation dans le but d’obtenir une bourse pour faire un Doctorat ou un Master. En général, c’est accordé à des gens qui font des études universitaires. Mais parfois aussi des musiciens l’obtiennent. Par exemple, j’étais dans la même promotion que Liebrecht Vanbeckevoort, finaliste au concours Reine Elisabeth pour piano en 2007. Lui est parti étudier à Boston.
- À New York, tu connaissais des musiciens ?
Oui, mais à la Manhattan School, j’ai rencontré beaucoup de monde. Finalement, ça va très vite là-bas. Tu trouves des musiciens qui veulent jouer avec toi. En trois mois, tu en rencontres deux cents…
- Comment travailles-tu là-bas ?
En général, par sessions chez l’un ou chez l’autre. Ça se fait beaucoup à New York. Pas mal de musiciens possèdent un endroit où répéter et jouer en journée. Donc, tu vas chez eux et tu joues. Tout le monde fait ça. C’est beaucoup plus courant que les jams. Les musiciens qui jouent très bien préfèrent en inviter d’autres chez eux et essayer des choses. C’est comme cela aussi que tu fais des rencontres. En plus, tu as beaucoup plus l’occasion de jouer que lors de jam-sessions, où tu joues un ou deux morceaux et où les groupes ne sont pas toujours bien équilibrés.
- Robin Verheyen © Jos Knaepen/Vues Sur Scènes
- C’est donc plus dans le but de construire quelque chose ou de travailler des morceaux ou un style particulier ?
Tout à fait. Et c’est très intéressant. Chacun amène de nouvelles compositions, tu essaies des choses nouvelles et tous les jours tu découvres de nouvelles musiques. C’est pour cela que New York est intéressant. Tu cherches et tu trouves tout le temps.
- Tu travailles beaucoup plus tes compos ou celles des autres ?
Oh oui. En plus, on joue beaucoup plus de musiques libres. Mais de différentes façons. Tu peux aussi bien te retrouver un jour avec des musiciens adeptes du swing des années ’50 et le lendemain jouer du contemporain, du free… Tout dépend, bien sûr, ce que tu recherches.
- Cela fait combien de temps que tu vis à New York ?
Plus ou moins deux ans. Maintenant j’ai un appartement. Je reviens en Europe pour les festivals ou les tournées.
- Tu as un groupe là-bas ?
En ce moment, je joue beaucoup en tant que sideman ou invité. Mais j’essaie de monter un projet avec Ralph Alessi. Je cherche encore la section rythmique. J’ai envie d’essayer une formule avec un autre souffleur…
- Tu rencontres d’autres saxophonistes avec qui tu peux échanger des idées, des plans ?
New York est plein d’excellents saxophonistes ! Par exemple, j’ai joué avec un type extraordinaire : Jake Saslow. Il est souvent à la Nouvelle-Orléans pour l’instant, au Monk Institute. J’ai beaucoup de contacts avec lui, on échange des idées. C’est important de rencontrer des gens qui ont une autre approche que la tienne.
- Le niveau doit être assez élevé à New York, ça ne doit pas être facile tous les jours…
Oui, mais des musiciens m’appellent, donc je suis heureux.
- Le talent sans doute. Mais c’est aussi l’ouverture d’esprit, non ?
Possible. J’ai peut-être une approche un peu différente, pour eux. Je suis peut-être moins direct, plus européen sans doute…. Je ne sais pas.
- Pour en revenir à ton quartette actuel, comment s’est-il formé ?
Je connaissais Dré depuis longtemps et je voulais monter un projet avec lui. Puis, un jour, on m’a proposé une résidence à Turnhout où je pouvais inviter qui je voulais. Alors j’ai invité Bill que j’avais rencontré lors d’un workshop à Louvain, et avec qui le contact avait été très bon.
- Robin Verheyen © Jos Knaepen/Vues Sur Scènes
- Qu’est ce que tu aimes dans son jeu ?
Il est très mélodique. C’est important pour moi. Il a une approche harmonique différente. En plus, il a une oreille superbe. Comme je joue des choses parfois complexes harmoniquement et que j’aime aller toujours plus loin, il faut que le pianiste suive et m’entraîne. Et avec Bill, l’entente est parfaite.
- Tes compositions sont parfois complexes, très écrites. Tu laisses cependant pas mal d’ouverture aux autres musiciens.
J’écris des choses que je leur donne, mais ensuite, c’est à eux d’en faire ce qu’ils veulent ! S’ils en gardent 1% c’est bien aussi. En concert, tout peut arriver. Si on ne joue pas les compositions, ce n’est pas grave, c’est que ça devait se passer comme ça.
- Ça t’arrive souvent de laisser autant de liberté ?
Oui, j’aime ça ! On commence un concert sans savoir où l’on va.
- Tu te sens plus libre au soprano ?
Je ne sais pas si cela m’influence, mais le soprano me donne beaucoup d’idées et de couleurs. Comme généralement, le soprano est plus « haut » que les autres instruments, il est plus facile d’imposer les atmosphères.
- On dit aussi que c’est un instrument difficile.
Oui, c’est difficile d’avoir un beau son, une bonne intonation. C’est un gros travail. Beaucoup de saxophonistes — du moins à mon avis — jouent du soprano comme du sax. Ils l’utilisent comme deuxième ou troisième instrument. Or, si tu ne travailles pas tous les jours, si tu ne fais pas les exercices de son nécessaires pour arriver à l’équilibre et la justesse, c’est « out ». Ça s’entend très vite quand un saxophoniste travaille ou pas son soprano.
- Steve Lacy disait lui-même qu’il était excessivement difficile de régler son instrument.
Oui, mais lui était vraiment à un autre niveau ! On entend qu’il connaissait son instrument comme personne ! Pour moi, c’est LE plus grand !
- Quelles sont tes influences parmi les sopranos, justement ?
Wayne Shorter ! Lui aussi a travaillé des années, uniquement le soprano. On entend d’ailleurs l’évolution, l’ouverture du son. Il a un son terrible maintenant. Au départ, c’était assez nasal. Coltrane a une approche différente, il en joue plus comme du saxophone. Mais techniquement, il fait des choses incroyables. Il a énormément travaillé aussi, dans une toute autre optique. Il ne s’occupait pas uniquement du son, il était plus dans les atmosphères. Et puis Dave Liebman, qui a ouvert de nouvelles pistes. Il peut jouer très soul, très beau et ensuite être très agressif !
- Tu parlais de Coltrane, mais je pense que tu as rencontré et travaillé avec Ravi aussi…
Oui, j’ai rencontré Ravi Coltrane lorsque je jouais avec mon trio au Blue Note Festival à Gand. Lui jouait avec McCoy Tyner. On s’est revus à New York. Je suis ami avec Massimo Biolcati, bassiste de Lionel Loueke et parfois de Ravi. On a eu ainsi l’occasion de jouer plusieurs fois ensemble.
- C’est de cette manière aussi que tu as rencontré Brandford Marsalis ?
J’avais pris des cours avec lui. On a gardé de très bons contacts. Je le vois régulièrement. On a également donné quelques concerts ensemble ; c’est un type vraiment chaleureux.
- Comment travaille-t-on avec des musiciens comme eux ?
Ce sont surtout des conseils qu’ils te donnent. La première fois, Marsalis, il m’a donné un cd avec plusieurs morceaux. Après, on a parlé musique. Beaucoup parlé. Ce n’est pas un cours où on te dit : « Tu devrais jouer ça ou ça… » ; ici, on parle conception de la musique.
- C’est comme ça que tu travailles avec ton groupe ? Tu apportes des compos précises ou bien tu discutes avec les musiciens ?
Comme je le disais, les compos sont précises : tout est là, il y a les accords, les mélodies, etc… Parfois je ne mets pas les accords car je veux que cela soit plus ouvert, sinon, tout est écrit.
- Mais sur « Painting Space » tu laisses pas mal de champ libre, non ? Le titre est d’ailleurs assez évocateur.
Oui c’est très important de s’écouter, de ménager de l’espace entre nous. On cherche. Je vois la forme, les autres ajoutent les couleurs. Bill est très fort pour cela.
- Vous avez beaucoup répété avant d’enregistrer, ou bien tout s’est fait très vite, très spontanément, comme avec Giovanni Falzone ?
On a fait une mini tournée de quelques dates et on a enregistré dans la foulée. En studio, on a beaucoup joué et tout enregistré. On avait un maximum de matériau, il a fallu faire une sélection.
- C’est donc toujours l’idée de spontanéité qui prévaut : jouer la musique comme elle vient plutôt que de travailler un détail… ?
En studio, je ne fais pas beaucoup de « takes ». Une ou deux et on passe à autre chose. En général, la première est la bonne.
- Tu es toujours content du résultat ? C’est un peu casse-gueule de travailler comme ça, non ? Une fois sur disque, le morceau est figé…
Oui, mais je t’assure que les meilleures prises sont les premières et que cela ne sert à rien d’en faire d’autres. J’y retrouve ma musique, mon esprit. Il y a la fraîcheur…
- Tu ne préfères pas enregistrer « live », dans ce cas-là ?
Ça dépend. Il y a une question d’acoustique aussi. J’aimerais bien enregistrer live, mais il faut une bonne logistique, une bonne salle, une bonne acoustique. J’y pense…
- Quels sont tes projets ?
Je viens de faire un album avec Pascal Niggenkemper, un bassiste allemand qui vit à New York et le batteur Tyshawn Sorey. On fera une tournée en Allemagne, et j’espère aussi en Belgique et en France. Je fais aussi un duo avec Haki Rissanen, et on devrait réaliser un album. Il y a une tournée en Finlande de prévue etun projet en trio avec un guitariste de Floride, puis l’enregistrement de nouveaux morceaux pour Narcissus…
- Enregistrer tout ça, c’est pour jalonner ton travail ou pour décrocher des gigs ?
Actuellement, pour avoir des gigs convenables, tu es presque obligé d’avoir un CD. Mais pour moi, il s’agit surtout de laisser une trace et de pouvoir évaluer mon parcours.