
Rodrigo Amado & David Maranha
Wrecks
Rodrigo Amado (ts), David Maranha (elp).
Label / Distribution : Nariz Entupido
Une note tenue, étonnamment ronde pour Rodrigo Amado donne le départ de Wrecks, nouveau duo du saxophoniste avec David Maranha, musicien portugais reconnu dans la sphère des musiques électroacoustiques. Une note qui va peu à peu devenir rauque et se lester de poussière et de rocaille, à mesure que l’orgue électrique va envahir l’espace comme les nuages se massent à l’horizon. Menaçant et inexorable. On pourrait songer, au premier abord, que Maranha fournit avant tout un travail de nappes, de bourdons plus ou moins agressifs qui viennent altérer les cataractes d’un saxophone qui se débat. Mais le clavier est beaucoup plus agité qu’on pourrait le croire, le son saturé parfois propose des variations et des virages. Quant au ténor d’Amado, il est d’un calme olympien, trace une route droite avec une sérénité gracile que l’on pourrait facilement qualifier de coltranienne.
Le morceau-titre dure près de trois quarts d’heure, et il serait faux de penser que le décor est une chose acquise. À la fin du premier tiers, c’est le saxophone qui se rebelle et resserre le canevas de l’échange pour en faire des mailles très fines où le son de Maranha se limite à une palpitation agressive, comme une montée de tension. La tension, d’ailleurs, est devenue omniprésente et l’on retrouve Rodrigo dans un style plus familier, le ténor anguleux et très en avant, dominant une mer de son devenue étale et un horizon parfaitement dégagé qu’il va, dans la seconde moitié du morceau, s’échiner à transformer en tempête.
L’océan est d’ailleurs la métaphore la plus juste pour évoquer une musique faite de flux et de reflux, de vagues fortes et de tangages intranquilles. Le titre, Wrecks, peut être traduit par épaves, et c’est vrai que l’on pense à ça, un navire fantôme érodé par le son qui se déplace au gré ses courants, sans être totalement maître des directions. C’est un univers puissant dans lequel Rodrigo Amado étonne par sa facilité à s’y glisser, tant il diverge de ses choix habituels. L’occasion de découvrir la musique de David Maranha, dont on conseillera le trio de 2021 avec Chris Corsano et Richard Youngs.