Chronique

Rodrigo Amado & Chris Corsano

No Place to Fall

Rodrigo Amado (ts), Chris Corsano (dms)

Label / Distribution : Astral Spirits

Chris Corsano et Rodrigo Amado se connaissent de longue date. Le second est depuis longtemps le dynamiteur de la scène lusitanienne, le premier écume les planches anglo-saxonnes, avec des figures comme Thurston Moore, Evan Parker mais surtout Paul Flaherty, son alter ego saxophoniste, dont le jeu agressif et cogneur ressemble à s’y méprendre à celui d’Amado. Il faut dire que le batteur, que certains avaient découvert aux côtés de Björk pour Volta, ne laisse pas beaucoup de place aux caresses : la caisse claire mitraille, les cymbales tournoient sans que le souffle s’impose comme un combustible indispensable : dans « Into the Valley », Amado tente bien une sinuosité plus large au ténor, moins empesée de concrétions et de dédales, mais c’est compter sans les roulés intempestifs et les relances continuelles de Corsano. La balade se transforme vite en course-poursuite angoissante.

Même si pour No Place to Fall on différencie aisément l’approche de Flaherty de celle d’Amado, tant le dernier paraît plus tonique, plus rapide, plus sûr de ses uppercuts, on comprend que le duo avec un saxophone est le terrain de jeu favori de Corsano. Le ring même, voire un octogone hérissé de stalagmites où la moindre chute pourrait s’avérer fatale. Pourtant, il existe un instant de concorde. A la toute fin, comme si la lutte était terminée : « We’ll Be Here in the Morning » fait d’abord penser à des combattants égaux qui se prennent dans leurs bras : les balais passent sur les peaux comme un linge éponge la sueur, le ténor est presque cajoleur… Mais à quelques signes infimes, on perçoit que le temps peut virer soudain à l’orage. Ce qu’il ne manque pas d’arriver.

Enregistré en 2014 et paru que maintenant chez Astral Spirit (bien que disponible sur le BandCamp du saxophoniste), No Place to Fall est donc antérieur à History of Nothing, où l’on retrouvait également Joe McPhee. C’est une formidable documentation de ce que les musiciens de free peuvent amener collectivement pour repousser le point de rupture. Amado et Corsano sont de la même famille et de la même approche. Celle de l’intransigeance.

par Franpi Barriaux // Publié le 27 octobre 2019
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