Chronique

Mary Halvorson, Reuben Radding, Nate Wooley

Crackleknob

Mary Halvorson (g), Reuben Radding (b), Nate Wooley (tp)

Exploiter le silence pour en faire une partie prenante d’une construction musicale demande aux improvisateurs une maîtrise technique sans faille.

Le trio atypique Crackleknob regroupe autour de la guitariste Mary Halvorson, que l’on connait pour faire partie des dernières formations d’Anthony Braxton, deux compères remarquables, le contrebassiste Reuben Radding et le trompettiste Nate Wooley. Crackleknob pour ce premier album utilise ce silence comme un matériau brut, comme un bloc solide qu’il convient de sculpter à la fois par le souffle et la corde, par la rythmique cassée d’une contrebasse sujette aux expériences ou par l’incarnation d’une trompette torturée et diablement charnelle.

Chaque pièce du disque, pur produit Hat-Hut, est emplit de ce groove du silence, de cette rythmique fantôme qui exsude une puissance organique, un lourd squelette abstrait au sein duquel chacun des improvisateurs glissent des traits au carrefour entre free jazz radical et déconstruction bruitiste, entre la sombre crudité du son brut et la continuité formelle des dix morceaux concis et précis, fait de traits solitaires et de puissantes épaisseurs, brisures d’une peinture au couteau incarné par les envolées interrompues d’un Radding expressionniste.

La rencontre entre les trois musiciens est à la fois une description pointilliste de la virtuosité et un dialogue intimiste entre musiciens complices. Dans ce choix de l’instant, dans ces affinités qui fondent un propos commun, dans ces discours de cordes entre le jeu tendu d’Halvorson sur les corniches de ses frettes et l’élasticité des fracas d’archet, ou dans les souffles vivaces et les pincements cathartiques d’un Nate Wooley marchant à grands pas sur les brisées de Taylor Ho Bynum, la musique est un langage de connivence.

C’est certainement « Libidinous Object and the Decay of Self » qui résume le mieux cet album, tant par le titre lascif que par cet écueil toujours évité du concept plaqué. Les effets de souffle de Wooley, prodigieux, donnent à la trompette une réelle incarnation tandis que la distorsion presque vocale de la guitare et le son de craquement et de rupture de Radding tendent vers une symbiose qui construit un album charpenté.