Chronique

Ikui Doki

いくい どき

Sophie Bernado (basson, voc), Hugues Mayot (ts, cl), Rafaelle Rinaudo (harpe, fx)

Label / Distribution : Ayler Records/Orkhestra

Petite musique de nuit : coucher d’étoile sur une galaxie lointaine.

C’est ce qu’évoque la lente mélopée du basson de Sophie Bernado « Pemanyangtse », auquel s’agglomèrent avec simplicité et grâce les anches d’Hugues Mayot et la harpe pleine de surprises et d’artefacts de Rafaelle Rinaudo. Voici Ikui Doki, joli miracle de trio qui avait ravi le jury de Jazz Migration au point de les inclure dans la promotion de l’année passée. Trois musiciens qui évoluent dans un décor sans attache, largement fantasmé mais qui se rattache à un certain orientalisme, présent dans le titre et dans plusieurs morceaux (« Pemanyangtse » est un temple bouddhique), qu’il faut davantage voir comme un désir d’altérité que dans un ancrage traditionnel ; le Free Jazz de chambre, marque de fabrique, rend hommage à la musique moderne où l’Orient est surtout la ligne de l’horizon. En témoigne « Debussy l’Africain  », où la harpe écorche ses plus secs alluvions électriques pour permettre aux soufflants de nourrir une danse impromptue qui fait penser fugacement à la surimpression d’un travelling avant infini au royaume mandingue, sur les mêmes pistes que les Suites Africaines de Sclavis et Texier. Le tout avec une liberté qui s’affirme puisqu’elle n’a pas besoin de se revendiquer.

Tout est propice à la rêverie dans la petite mécanique d’Ikui Doki. Ténor et basson, très intime, jouent de tous leurs timbres pour glisser sur les cordes de la harpe qui ne se complaît pas dans la joliesse. Dans « LSP », la lumière altérée diffusée par Bernado s’irise au contact de Rinaudo, avec ce qu’il faut d’effet pour paraître lointaine et différente. C’est une invitation au voyage, les plus rares fleurs mêlant leurs odeurs aux vagues senteurs de l’ambre... Et tant pis pour Rimbaud choisi pour les notes de cette pochette parue chez Ayler Records ! La musique d’Ikui Doki est un fabuleux générateur d’histoires, une approche à laquelle Hugues Mayot est loin d’être indifférent, ce qu’il nous avait déjà prouvé dans son quartet What If ?. Rafaelle Rinaudo en est également responsable, avec son instrument polymorphe qui sait prendre toutes les formes et les couleurs, à l’instar du « Songe Pastel » où la harpe se mue en guitare aventureuse. Une qualité qu’on avait déjà découvert chez elle auprès du collectif Coax.

La force de ce premier album d’Ikui Doki, c’est de savoir installer immédiatement un climat, et que celui-ci, en quelques notes, s’avère changeant. Il peut être mélancolique, tel « Cats and Dogs » malgré son début orageux où le ténor affronte une volée de cordes. Il peut également se révéler très concertant sur le bien nommé « My Taylor is Reich » où le basson dessine le squelette d’un morceau excellemment construit. Dans la palette des émotions, rien n’échappe au trio qui invoque aussi la voix, dont Sophie Bernado se charge. Habituée des mots (elle travaille avec Emily Loizeau et écrit des spectacles pour enfants), elle teinte le propos d’Ikui Doki d’un peu plus d’étrangeté et d’innocence dans un « Secretly in Silence » idéal pour clore le petit théâtre onirique qui s’est déroulé devant nos yeux mi-clos. A écouter jusqu’aux franges des nuits blanches.