Scènes

Soirée Jazz Migration 2017

Lancement du dispositif, le 29 novembre 2016 à la Dynamo de Banlieues Bleues, Pantin.


Photo : Quatuor Machaut, par Laurent Poiget

La soirée Jazz Migration est l’une des plus attendues de l’année. Programmateurs, musiciens, journalistes et amateurs se donnent tous les ans rendez-vous à la Dynamo de Pantin pour découvrir les lauréats de l’année. De nombreux musiciens reconnus aujourd’hui ont commencé à faire parler d’eux grâce au dispositif mis en place par l’AJC : Émile Parisien, le Théo Ceccaldi Trio, Leïla Martial ou le duo Schwab Soro, récemment élu dans nos colonnes, pour n’en citer que quelques uns. Cette année, quatre groupes ont été retenus : Post K, Quatuor Machaut, PJ5 et Watchdog.

C’est le groupe Post K du clarinettiste Jean Dousteyssier qui ouvre le bal. Le quartet propose une relecture particulièrement jouissive des grands classiques de la préhistoire du jazz. Après un premier album sorti en début d’année consacré aux standards néo-orléanais, Post K s’attaque désormais à la musique du grand Art Tatum, figure majuscule du piano stride. Entouré de son frère Benjamin Dousteyssier (Trio DDJ, ACTUUM) aux saxophones, du pianiste Matthieu Naulleau (Umlaut Big Band) et du batteur Elie Duris (MeTaL-O-PHoNe, Novembre), Jean Dousteyssier déconstruit les pépites de Tatum, les désosse pour n’en garder que leur ADN. Elles se refont ainsi une virginité et se donnent à entendre dans leur extrême modernité. Ça dégourdit les oreilles. C’est frais, drôle et érudit, à l’image de cette jeune génération impertinente de musiciens qui bouscule les codes et les conventions de la sacrosainte musique jazz, se réappropriant son histoire pour mieux la replacer dans notre contexte contemporain.

Quatuor Machaut © Yann Bagot

Le Quatuor Machaut est de cette trempe là. De celle qui n’a pas froid aux yeux. De celle qui ne s’interdit rien. Pas même de reprendre à quatre saxophones la Messe de Notre-Dame de Guillaume de Machaut (1300-1377). C’est le saxophoniste du Tricollectif, Quentin Biardeau qui est derrière ce projet totalement insensé, adaptant la partition pour voix d’hommes à son quatuor de saxophones. Cette musique, d’une grande profondeur et d’une grande beauté, a besoin pour s’épanouir de lieux résonants à l’acoustique enveloppante, dixit Quentin Biardeau. Qu’à cela ne tienne, la Dynamo se mue en cathédrale, chacun des musiciens se postant dans ses travées, derrière le public, le son venant des quatre coins de la salle. Plongée, immersion, respiration. Les timbres se mêlent, se répondent, s’entrechoquent, à la limite du free jazz parfois, d’autres fois plus proche de la musique contemporaine, d’autres fois encore au plus près de la musique liturgique que la Messe de Notre-Dame incarne. C’est comme si, le temps d’un instant, nous étions plongés dans une « outre-musique » (en référence à l’outre-noir du peintre Pierre Soulages), le quatuor reflétant la lumière intérieure de nos âmes.

Après tant d’émotions, la partie électrique de la soirée fut pour moi plus anecdotique. Le groupe PJ5 du guitariste Paul Jarret présentait son dernier album Trees sorti cette année. Un jazz progressif, une énergie très rock, des réminiscences ska (l’association saxophone-trombone sans doute). Les mélodies sont efficaces, les musiciens talentueux mais le côté un peu trop démonstratif de l’ensemble dessert à mon sens le propos.

Pj5 © Yann Bagot

Quant au groupe Watchdog du clarinettiste Pierre Horckmans et de la pianiste Anne Quillier (tous deux issus du collectif lyonnais Pince Oreilles), il s’aventure dans des contrées électroniques. Elle, au Fender Rhodes, installe des ambiances répétitives à base de riffs minimalistes. Lui, aux clarinettes, s’appuie sur ce tapis mouvant pour souffler des bouts de mélodies, variant les timbres de ses instruments à l’aide de pédales d’effet. D’abord embarqué dans leur périple, on atterrit assez vite tant la musique m’a semblé manquer de profondeur et de nuances.

La cuvée Jazz Migration 2017 fut donc pour moi, contrastée. Elle présentait pourtant des musiciens talentueux, courageux et généreux qui, tous, défendent des projets riches et ambitieux. Pourvu que ça dure, comme dirait l’autre.

A écouter :

Jean Dousteyssier, Post K, ONJAZZ Records, 2016 (chronique de Philippe Méziat ici)
Quatuor Machaut, Machaut, Ayler Records, 2016 (chronique de Diane Gastellu ici)
PJ5, Trees, Gaya Music, 2016 (chronique de Denis Desassis ici)
Watchdog, You’re Welcome, Pince Oreilles, 2016 (chronique de Julien Gros-Burdet ici)

par Julien Aunos // Publié le 15 janvier 2017
P.-S. :

Jazz Migration est organisé par l’AJC (Association Jazzé Croisé) qui regroupe plus de 65 structures françaises et européennes (festivals, clubs,…). C’est un projet visant à participer au développement de carrière de jeunes musiciens en région. Les lauréats sont au nombre de quatre depuis l’année dernière. Ils bénéficieront d’un accompagnement professionnel et artistique ainsi que d’un soutien à la diffusion sur 18 mois.
Le soundcloud de l’AJC où vous pouvez écouter trois titres de chacun des lauréats.