Rempis/McPhee/Reid/Lopez/Nilssen-Love
Of Things Beyond Thule Vol.1
Dave Rempis (as), Joe McPhee (tp,ts), Brandon Lopez (b), Tomeka Reid (cello), Paal Nilssen-Love (dms)
Label / Distribution : Aerophonic
Thulé, c’est à la fois une île mythique, un bout du monde pour les géographes antiques et un pays bien réel, le Groenland, à bonne distance de l’Amérique et de l’Europe. Thulé, c’est loin. De tout et surtout de Chicago où se déroule la rencontre fortuite que nous présente le label Aerophonic de Dave Rempis, enregistrée au Hungry Brain au début de l’année 2019. Of Things Beyond Thule regroupe cinq musiciens coutumiers des lieux et des collaborations communes, mais qui n’avaient jamais eu loisir de jouer ensemble. Pourtant l’alto de Rempis a souvent croisé le violoncelle de Tomeka Reid [1], tout comme le contrebassiste Brandon Lopez. Bien sûr, Paal Nilssen-Love, le plus proche de Thulé, est un vieux compagnon de Joe McPhee. Mais tous ensemble, jamais. Il aura fallu l’envie et les circonstances pour entendre ce match en deux rounds où les cordes font trembler une terre battue par les vents, à la fois hostile et protectrice. Vivante, en un mot.
« Qaanaaq » est une ville du Groenland. La plus grande cité palindrome du monde. C’est le lieu choisi par le quintet pour représenter leur musique, une montée progressive où le baryton de Rempis déchire soudain la sensation monochrome entretenue par Reid et Lopez dans les prémices de cette première partie, d’environ vingt minutes. A ses côtés, McPhee embouche sa trompette de poche comme pour danser malignement sur cette glace brisée et soudainement mise en débris. Cela ne trouble pas Nilssen-Love qui bat un rythme impavide, presque sage, et trace une ligne sur laquelle tout est possible. Joe McPhee se fait lyrique, soutenu par les pizzicati du violoncelle, les choses se calment comme après la bourrasque, seules les cordes reprennent un travail structurant pour mieux repartir à l’assaut. C’est un cycle bien compris par des musiciens en osmose.
Qaanaaq, c’est aussi un ancien aéroport militaire étasunien sur lequel un B52 gavé d’ogives nucléaires s’était crashé, condamnant de nombreux autochtones. Est-ce la raison de la sensation de désolation puis de rage qui s’empare de la seconde partie du concert ? Il y a de la noirceur lorsque les soufflants se bousculent mutuellement, comme un étourdissement. On a le sentiment d’être au cœur de la mêlée, que les forces viennent de toute part. La lumière viendra d’une échappée de Tomeka Reid puis de Brandon Lopez, prompt éclat créant le vide autour d’eux. Violoncelle et contrebasse sont comme une hydre à deux têtes qui imposerait partout sa loi avec les cymbales comme appariteur. Personne pourtant ici ne tire la couverture à soi ; le temps que se laissent les improvisateurs permet un véritable équilibre qui est la clé de cette rencontre. Lorsque le calme revient, c’est Rempis qui fait parler son flegme, avec ce souffle rugueux annonçant le déluge final d’un disque qui en appelle forcément d’autres - puisque le titre nous informe qu’il s’agit d’un « Volume 1 ». La jubilation, et l’envie d’entendre la suite, est totale.