Chronique

Berne/Fort/Mandel/Quillet/Raulin/Roy

… et autres chants d’oiseaux

Pascal Berne (b), Bernard Fort (field recording, elec, fx), Michel Mandel (cl, bcl), François Raulin (p), Guillaume Roy (vla), Jean-Marc Quillet (acc, perc),

Label / Distribution : Label Forge

L’extinction de masse des espèces est une glaçante réalité : l’art peut tenter, non de la sublimer, mais de contribuer à en faire prendre conscience. A préserver, non seulement la mémoire mais aussi le sens du beau, comme le faisait Messiaen dans son catalogue d’oiseaux ; à préserver les espèces, aussi, tout simplement, car comment ne pas être touché par le soyeux dialogue entre la clarinette de Michel Mandel et le chant des « troglodytes », si harmonieux qu’on en perçoit l’humanité simple et gracile ? Il en va de même, plus loin, lorsque Guillaume Roy mêle son alto au piano de François Raulin. Avec Pascal Berne à la basse, nous retrouvons avec un immense plaisir les acteurs du Collectif La Forge qui nous avait enchantés avec Sati(e)rik Excentrik et qui désormais se passionnent pour des volatiles aux chants captés par l’électroacousticien et ornithologue Bernard Fort. C’est ce dernier qui offre l’occasion à Jean-Marc Quillet de mener une courte mais profonde « conversation avec la Fougerolle » avec son vibraphone. D’égal à égal.

Fort est partie prenante de la composition de chacun des morceaux, à l’instar de « Tichodrome Tricoti ». Dans cette musette guillerette, le tichodrome échelette fait contrepoint à la danse menée par la clarinette et reprise avec fougue par Roy dont l’alto est proche de certains chants. L’ornithologue ne fait pas que capter les sons, il les prépare, les colle [1] et joue sur leur longueur pour en faire un instrument à part entière. Il peut danser aussi bien que planer avec une véritable grâce ; ainsi dans le « rappel des oiseaux » de Rameau, avec l’ambiance sonore d’un matin camarguais ; ainsi dans certaines citations roublardes du « Requiem » de Lennie Tristano, toujours la grande passion de François Raulin, qui leste l’album d’une gravité élégante, bien tenue par la contrebasse de Berne.

Il y a beaucoup d’oiseaux sur les pochettes de disques de jazz, ces derniers temps. Davantage que dans les cieux, diront les esprits chagrins, souvent réalistes. Peu cependant arrivent à capter avec autant de justesse et de précision, à la fois la fragilité et la liberté de l’oiseau. Comme les musiciens de La Forge, il sont migrateurs et sans frontières : « Tirikoti » est l’occasion pour Raulin de passer au M’bira et d’offrir un pas de deux à Mandel et Roy. On traverse la Méditerranée en compagnie du Golonec à ventre blanc, inspirateur de ces improvisations pleines de poésies qui nous font nous envoler dans l’imaginaire. A tire-d’aile, ça va de soi…

par Franpi Barriaux // Publié le 23 juin 2019
P.-S. :

[1Sans glu : nous ne sommes pas en présence de barbares mais d’amoureux de la nature !