Sofie Sörman
Vindarna
Sofie Sörman (voc), Armel Dupas (p), Joan Eche-Puig (b), Karl Jannuska (dms).
Label / Distribution : Absilone
Sofie Sörman sait très bien ce qu’elle doit à la Suède. Elle aime rappeler que dans ce pays qui l’a vue naître, « la voix fait partie de la vie dès l’enfance ». Comme chez tant de ses compatriotes, on chante de génération en génération, dans une société qui a su accorder à la femme une place égale à celle de l’homme. Vivant à Paris depuis près de 20 ans, elle n’a pas oublié pour autant les années vécues entre chants populaires, musique classique, pop, rock ou jazz, de la tradition à la modernité. Au contraire : cet héritage est présent dans une expression très personnelle dont Ripples, son précédent disque, était le témoignage sensible. Michel Arcens écrivait dans sa chronique pour Citizen Jazz : « Derrière l’aisance apparente, sous une joliesse cristalline qu’on aurait tort de prendre pour de la banalité, on découvre de l’intelligence, de l’émotion, et même une certaine inquiétude. L’étoffe dont sont faites les vraies chanteuses ». Tout était déjà dit et ce qui valait pour Ripples s’applique à Vindarna, son successeur.
Une « vraie » chanteuse en effet, parce qu’il n’est pas seulement question d’une voix. Chez Sofie Sörman, l’âme entre en résonance pour interpeller le sens de la vie, au long d’un parcours tout autant artistique qu’existentiel. Mais aujourd’hui, encouragée en cela par l’accueil que le public français avait réservé aux chansons interprétées en langue suédoise lors de la tournée Ripples, elle va plus loin. Entourée des mêmes musiciens, soit un trio cultivant le minimalisme avec une sensibilité extrême et beaucoup de retenue – parce que la suggestion est essentielle chez Armel Dupas (piano), Joan Eche-Puig (contrebasse) et Karl Jannuska (batterie) – c’est un répertoire exclusivement chanté dans sa langue natale qu’elle livre avec Vindarna. Ce titre, qui signifie « le vent » et dont la composition homonyme figure en ouverture, ne doit rien au hasard. Dans notre monde trouble et incertain, il est un appel à la résistance face à la crainte d’une tempête qui peut survenir. En écho à cette promesse, on trouve à la fin du disque une « Vals till Sia » dont Sofie Sörman a écrit le texte pour sa fille alors âgée de quelques mois seulement, sur une musique d’Armel Dupas. Une mélodie aux accents délicats, typique de l’univers du pianiste, et le thème de la naissance comme un signe d’espoir.
Entre ces deux compositions qui cernent l’univers de la chanteuse, on découvre des histoires émerveillées, parfois brumeuses, qui disent l’amour (« Visa från Järna », « Tystare än natten »), la vie (« Leva nu », « Visa i Molom »), la fragilité du bonheur (« Grimasch om morgonen »). On croise des anges (« Din ängels sång ») et même le diable déguisé en musicien (« Horgalåten »). Le disque est une célébration de la nature et de ses éléments (« Under rönn och syren »), pour culminer avec « I skogens djupa stilla ro », qu’on traduira par « Dans le silence profond de la forêt ». Ce traditionnel danois, déjà adapté par quelques jazzmen, tels Oscar Peterson et Ulf Wakenius, fait ici l’objet d’une adaptation majestueuse, presque a cappella. La voix de Sofie Sörman émet une vibration profonde, sans effet inutile ni pathos encombrant. C’est un chant d’une grande beauté qui, à lui seul, donne la mesure du talent de celle qui, au fil des onze compositions de Vindarna, parcourt la gamme des émotions – entre joie et inquiétude – avec la détermination humble qu’on lui connaissait déjà.
Vindarna est peut-être un tournant pour Sofie Sörman en ce que la chanteuse s’écarte d’un langage spécifiquement jazz. Non qu’elle se détourne de ce dernier, mais parce qu’elle souhaite ouvrir sa musique aux influences qui l’ont constituée depuis toujours : chants traditionnels, chansons aux accents plus pop, entre XVIIIe siècle et années 60. « La naissance de Sia a conforté mon désir d’un retour à mes racines, au chant et à l’écriture des paroles en suédois, et m’a ouverte à de nouvelles émotions ». Plus qu’une affirmation musicale, Vindarna est le disque d’un accomplissement humain, d’un voyage au cœur de la vie. Ce que l’on pourrait nommer une réalisation, au sens philosophique du mot, comme un rêve devenu réalité, un désir assumé.