Scènes

Échos du Saveurs Jazz 2016 - 2

Compte rendu de la septième édition du festival angevin


Dee Dee Bridgewater, Thierry Eliez, Thomas Bramerie, Lionel Belmondo, André Ceccarelli, Nicolas Folmer au Saveurs Jazz à Segré 2016 par Jean-François Picaut

La deuxième grande soirée du Saveurs jazz est consacrée à la voix. On a pu y entendre un jeune homme qui monte et une diva qui n’a rien perdu de son allant.

jeudi 7 juillet 2016
Hugh Coltman, Shadows, Sons of Nat King Cole : un crooner qui a du chien
Le concert commence classiquement par « Are You Disenchanted ? ». Ce titre permet au chanteur de faire admirer son timbre de baryton qui ne craint pas d’affronter les aigus. Il donne aussi l’atmosphère d’une bonne partie du disque Shadows, Sons of Nat King Cole (Okeh, 2015) et du concert. On alternera ensuite les moments plus rythmés et des chansons plus axées sur la mélodie.

Hugh Coltman par Jean-François Picaut

Dans les ballades, « Pretend » met en valeur le guitariste Thomas Naim qui signe sur cette belle mélodie un prélude aux réminiscences hawaïennes. Gaël Rakotondrabe (piano) s’illustre par un travail mélodique et harmonique très brillant. Le crooner Hugh Coltman est évidemment très à l’aise pour chanter le blues du personnage. Le sommet des morceaux lents est à mes yeux « Mona Lisa » avec sa splendide introduction à la contrebasse par Christophe Mink, son duo presque plaintif entre Coltman et Raphaël Chassain (batterie) et un trio très élégant piano - contrebasse - batterie.

« Meet Me At No Special Place », plus rythmé, paraît faire la transition avec les titres plus rapides comme « Rascal » qui avec ses accents rock amène le public à frapper dans ses mains, manifestant un enthousiasme qui va aller croissant et culminer dans les deux derniers titres. « Lovin » met en valeur le jeu rock de Thomas Naim tandis que le piano brille par ses harmonies. On se quitte avec « Walkin’ », le titre de Muddy Waters, qui aux dires d’Hugh Coltman aurait déclenché sa vocation musicale quand, dans son adolescence, il l’a découvert sur une cassette lue par son baladeur.
Cependant, à mes yeux, l’apogée de ce concert aura été l’interprétation ambitieuse de « Nature Boy » : implication d’Hugh Coltman, batterie remarquable et final tout en finesse. De la belle ouvrage vraiment.

Dee Dee Bridgewater, Love and Peace, a Tribute to Horace Silver : on tutoie les sommets
Le hasard fait parfois bien les choses. Dee Dee Bridgewater devait chanter ce soir avec Theo Croker and Dvrkfunk : las, Theo Croker avait été programmé le même soir au New Morning ! Ce contretemps, ou ce couac, nous a permis de retrouver, après plus de 20 ans, le fameux Love and Peace, a Tribute to Horace Silver. Nul ne s’en plaindra après ce que nous avons entendu ce soir avec la présence sur scène de quatre des musiciens à l’origine de la création et des « nouveaux » qui se sont parfaitement intégrés.
Tout commence sur les chapeaux de roue avec un instrumental, « Nutville », superbement arrangé par Lionel Belmondo (saxophone ténor). D’entrée de jeu, l’engagement de tous les membres du quintette est évident. Lionel Belmondo signe un magnifique solo, le premier d’une longue série ce soir, et Nicolas Folmer (trompette), nouveau dans ce projet, se met au diapason.

Dee Dee Bridgewater par Jean-François Picaut

Dee Dee Bridgewater fait son entrée sur « Permit Me to Introduce You to Yourself » et c’est parti pour treize titres d’affilée ! La puissance, l’expressivité et la clarté de sa voix, sa gestuelle expressionniste, et si suggestive parfois, conquièrent le public (la salle est comble) qui embarque immédiatement pour cette aventure au long cours. « Tout est bon (dans ce concert), y a rien à jeter », pour paraphraser Brassens. Il faudrait tout commenter, je me contenterai des points les plus saillants.

Commençons par le jeu d’André « Dédé » Ceccarelli : rythme impeccable, jeu nuancé, groove infaillible ! Sur « Tokyo Blues », Lionel Belmondo signe un solo magnifique, inspiré et plein de souffle : le son, les attaques et même la gestuelle, tout fait penser à Sonny Rollins. Il récidive dans « Song For My Father » et chaque fois, le précédant ou le suivant, Nicolas Folmer n’est pas en reste. Dans cette dernière chanson, l’élégie et les rythmes puissants alternent en un mélange séduisant. Thierry Eliez (piano) occupe le premier plan dans « Filthy McNasty » avec un solo d’une virtuosité étourdissante sur son Nord C2D. C’est aussi la première fois, alors que nous sommes au deux tiers de ce concert, que Dee Dee Bridgewater mêle le chant et le scat. Outre son rôle rythmique impeccable, Thomas Bramerie (contrebasse) brille particulièrement dans un solo puis dans un duo avec Dee Dee Bridgewater qui scatte dans cette chanson si poignante qu’est « Soulville » comme elle le fait en imitant le trombone dans « Doodlin’ ». Dans « Soulville », la chanteuse mêle aussi sa voix à celles du saxophone et de la trompette pour un remarquable trio où l’on croit véritablement entendre trois cuivres. On retrouvera cette impression dans « The Jody Grind ».

On se quitte avec « Blowin’ the Blues Away ». Le public est absolument ravi et montre son enthousiasme. Malgré la fatigue, les musiciens nous délivrent une série de solos éblouissants. Maintenant que Love and Peace, a Tribute to Horace Silver est ressorti des cartons, souhaitons qu’on ne l’y renferme pas trop tôt et qu’il soit donné à beaucoup de gens de le (re)découvrir.