Chronique

Steven Jezo-Vannier

Ella Fitzgerald

Il était une voix en Amérique

Label / Distribution : Le Mot et le Reste

Première biographie française sérieuse de la chanteuse nord-américaine Ella Fitzgerald, ce livre est signé du précis et prolifique spécialiste du rock et des contre-cultures, Steven Jezo-Vannier. Après The Doors, The Byrds ou Grateful Dead, il s’était attaqué à la biographie de Frank Sinatra, mettant un pied (les deux même) dans l’histoire du jazz, une contre-culture si importante qu’elle est devenue une culture à part entière.
Autre monument du jazz, mais après Sinatra on peut tout se permettre, c’est Ella Fitzgerald qui fait l’objet de ses recherches et attentions.
La méthode est simple. Jezo-Vannier a rassemblé un corpus de documents quasi exhaustif sur la chanteuse : articles, livres, émissions de radio, documentaires, concerts et interviews. Puis, comme pour la construction d’un puzzle de 50000 pièces représentant la Voie Lactée, il a patiemment mis bout à bout les informations dans l’ordre chronologique. Informations techniques, comme les lieux et dates des enregistrements, des concerts, des tournées, mais aussi informations biographiques plus personnelles. Mais surtout, l’auteur a embrassé les déclarations de la chanteuse et de ses proches (famille, musiciens, managers) pour en dresser un portrait psychologique assez fin.
Aussi, sans l’avoir jamais rencontrée, il donne l’impression d’avoir passé des heures à récolter les souvenirs de la grande dame pour écrire sa biographie. C’est un tour de force.
Pour le reste, l’histoire se déroule comme un film documentaire, avec une introduction qui montre la chanteuse dans sa loge avant un concert, en 1974. On est déjà à côté d’elle, perché sur son épaule, et on observe, on écoute. La première partie relate la naissance de l’artiste et sa montée en puissance jusqu’à la prise en main du manager Norman Granz - le plus grand des managers de l’époque - et l’incident de Houston en 1955. [1] La seconde partie (1955-1995) explore l’apogée de sa carrière et la longue traînée d’étoiles qui n’en finit pas de briller, jusqu’à ce que le diabète ronge les jambes de la chanteuse qu’on finira par amputer, mettant un arrêt définitif à toute tentative de monter sur scène. Tout le long, c’est aussi l’histoire des USA qui apparaît en filigrane, et forcément vu l’époque et les personnages en question, ce n’est pas le plus glorieux visage de cette société qui est dépeint, mais bien les travers les plus abjects de la pensée ségrégationniste, raciste et puritaine. Le type même de société dont on voudrait nous vendre des échantillons ces temps-ci de ce côté de l’Atlantique… beurk.

Les quelques 350 pages se lisent comme un roman, émaillé de pochettes des disques enregistrés par Ella Fitzgerald et les titres des chapitres font référence aux standards du jazz qu’elle savait magnifier.

par Matthieu Jouan // Publié le 24 octobre 2021
P.-S. :

Ella Fitzgerald - Live in Germany, 1974

[1Celui lors duquel Dizzy Gillespie a déclaré aux policiers racistes texans venus l’arrêter sans raison ni mandat, qu’il s’appelait Louis Armstrong.