Scènes

Art Sonic : Passe le temps, sonne l’art

Art Sonic, le quintette à vent emmené par Jocelyn Mienniel et Sylvain Rifflet, présentait le 1er décembre à l’Atelier du Plateau le premier concert de cette nouvelle formule. Un coup de poker, une nouveauté et une immense surprise.


Cinq musiciens aventureux, emmenés par le flûtiste Jocelyn Mienniel et le clarinettiste Sylvain Rifflet ont abattu une cloison – un mur porteur — entre les genres et les styles en présentant, samedi 1er décembre au soir, le premier concert de la toute nouvelle formule en quintette à vent d’Art Sonic. Un coup de poker, une nouveauté et une immense surprise.

Cette création compliquée par l’accumulation de risques artistiques, s’est déroulée sur le fil du rasoir, non sans une certaine tension, et a finalement débouché sur un beau projet plein de promesses. Les musiciens à peine installés, c’est Sophie Bernado qui lance les premières notes de basson, prenant presque au dépourvu ses camarades de jeu, un peu plus décontractés. Les risques, bien qu’il s’agisse - par essence – d’en prendre lors de n’importe quelle expression artistique, peuvent néanmoins se cumuler et rendre l’acte créateur incertain, décevant, voire impuissant.
Ceux pris par l’ensemble Art Sonic étaient nombreux, mais tous ont été surmontés.

Sylvain Rifflet Photo Hélène Collon/Objectif Jazz

Présenter une nouvelle formation, quelle qu’elle soit, n’est jamais chose facile. Présenter une formation à l’instrumentation classique - un quintette à vent - pour un projet de jazz et musiques improvisées est un défi supplémentaire. Orchestrer et arranger des œuvres originales, reprendre des « standards » contemporains, prétendre travailler « la spatialisation de l’orchestre comme outil de création d’illusions sonores et de recherche acoustique » est une gageure… Et ce n’est pas sans une certaine fierté, qui cachait mal le plaisir évident de jouer, que Joce Mienniel introduit les morceaux en renvoyant au programme distribué au public (comme dans les concerts classiques). La jubilation des musiciens fait plaisir à voir.

Le quintette à vent, formation née au début du XXe, est la réunion de cinq familles d’instruments issus de l’orchestre classique : les flûtes traversières, les hautbois, les clarinettes, le basson et le cor. Le jazz est habitué aux clarinettes et aux flûtes solistes depuis déjà un certain temps. Mais les hautbois, bassons et cors ne sont pas légion dans les petites formations actuelles. De fait, ils sont rarement utilisés dans le jazz et on comprend pourquoi, à voir l’effort qu’exprime parfois le visage des interprètes tandis qu’ils font swinguer à vive allure ces augustes tuyauteries peu rompues aux folles galopades…

Il faut donc leur rendre hommage : Baptiste Germser au cor, Sophie Bernado au basson, Sylvain Rifflet aux clarinettes, Cédric Chatelain au hautbois et cor anglais et Jocelyn Mienniel aux flûtes sont issus d’univers différents, rompus aux lectures de partitions, aux mélanges des genres, aux recherches acoustiques et sonores, et proposent ici avec une aisance toute feinte un éventail impressionnant de couleurs sonores. Leur technique impeccable leur permettent tous les écarts, tous les débats, tous les ébats… Même s’ils semblent parfois trop impressionnés pour se lâcher et se pousser du coude.

Les cinq embouchures différentes [1] tissent la matière d’une chrysalide aérienne : la rondeur cuivrée du cor, la puissance contenue et vibrante du basson, le feutré boisé de la clarinette, la pureté éclatante du hautbois et le souffle vrombissant de la flûte.

La disposition de ce quintette, en L sur le plateau de l’Atelier, offre un confort et une précision d’écoute plus ou moins homogène selon la position du spectateur. Tout en acoustique, sans scène, pupitres devant l’instrument, les sons trouvent parfois un chemin hasardeux. Ainsi, la position de Sylvain Rifflet dans l’angle de ce L avait pour effet de noyer ses clarinettes dans les tutti. On ne l’entendait presque plus… Un trou sonore, résultat de la confrontation de facétieuses fréquences. Un point à revoir, sûrement.

L’utilisation des timbres et des possibilités de bruitage est portée à son apogée : vélocité, attaques percutantes, sourdines, effets de souffle (effet vinyle), slap, cliquetis de clés, growl, harmoniques, battements acoustiques, bruits blancs et sons purs (ou presque)… les illusions sonores promises par le programme sont donc au rendez-vous de ces recherches acoustiques.

Jocelyn Mienniel/Cédric Chatelain Photo Hélène Collon/Objectif Jazz

L’écriture des arrangements est tenue et ramassée. Elle propose mélanges de pupitres, tutti, opposition de timbres, tuilages. Tout se tient dans un registre médium élargi, sans beaucoup d’aigus et avec peu de graves. Les compositions (essentiellement signés Rifflet et Mienniel), offrent deux facettes de la musique du quintette : tantôt une utilisation très rythmique de l’instrumentation, les rôles étant répartis entre les pupitres - basse, accords, mélodie, bourdon et/ou la grille harmonique comme support à l’un des solistes pour improviser ou répondre en contrepoint, comme dans les « Miniatures » au staccato énergique, « Electronic Fire Gun » (de Sylvain Rifflet), ou encore le rappel, « Les Scélérates » (signé Fred Pallem) et l’on entend alors de nombreux passages dignes de la tradition de la musique concrète ou répétitive -, tantôt une orchestration plus aérienne où les rôles s’échangent, les voix se croisent et les formes et couleurs musicales s’étirent. C’est le cas des « Mélodies éphémères » et de « Reaching the Shore » (Jocelyn Mienniel), plus ancrées dans le style classique de la forme quintette à vent, plus écrites aussi.

Une très belle réussite.

On regrette provisoirement le peu de place laissée à l’improvisation, mais l’ensemble, tout neuf, manque de confiance et de maturité, et les musiciens jouent encore le nez dans les partitions. Tout cela se corrigera avec le temps.

A noter : la reprise d’un titre d’Edward Perraud, « Xiasme », et d’Antonin-Tri Hoang, présent dans la salle, « Herbes luisantes ». On souhaite que le répertoire de cette formation s’épaississe en œuvres originales, à l’instar de celles écrites par Cédric Châtelain pour le spectacle à venir de Nosfell à Chaillot.

Chapeau, enfin, à la Dynamo qui a participé au projet en ouvrant ses portes pour une semaine de répétitions préalables, et à l’Atelier du Plateau pour avoir accueilli la création.

par Matthieu Jouan // Publié le 10 décembre 2012
P.-S. :

A voir : les vidéos du concert.

[1On différencie les doubles anches du basson, plus larges et plus ouvertes de celles du hautbois, plus serrées, pour arriver à cinq embouchures différentes !