Scènes

Susan Alcorn : retour à Chicago

Chronique en trois temps d’un passage pas comme les autres.


Photo : James Montes

La pedal steel guitar n’est pas un instrument que l’on associe souvent au jazz ni aux musiques improvisées. Susan Alcorn a d’ailleurs passé une grande partie de sa carrière dans le milieu de la musique country jusqu’à ce qu’elle rencontre la compositrice Pauline Oliveiros au début des années 90 et que, plus tard, elle s’arrête sur le bord de l’autoroute, bouleversée par un morceau d’Olivier Messiaen diffusé à la radio.

Susan Alcorn a passé son enfance et son adolescence dans la banlieue de Chicago, une ville où elle n’était pas retournée en 45 ans.
Sa venue fin juillet a été en grande partie orchestrée par le saxophoniste Ken Vandermark. Le premier arrêt est le 29 juillet au Hungry Brain pour des rencontres inédites concoctées par le souffleur. Le premier set met Alcorn en scène avec le pianiste Jim Baker et le contrebassiste Anton Hatwich. Il met en évidence que la guitare pedal steel n’est pas l’instrument le plus facile à marier dans une session d’improvisation pure. En outre, Baker et Hatwich semblent intimidés – ce qui est surprenant pour qui les connaît –, restant dans l’ombre de la guitariste ou ne faisant que l’accompagner sans prendre de risques. Elle impose le tempo, initie les changements de direction et, de temps à autre, bouscule tout avec de soudaines sorties de route. La deuxième partie avec le batteur Ryan Packard est, elle, plus enthousiasmante. Packard incorpore notamment l’électronique dans son jeu, ce qui suggère en passant que Jim Baker aurait dû venir avec son synthétiseur analogique. Le batteur traite avec son ordinateur des roulements de caisse claire ou les sons qu’il produit avec une cithare, produisant des sonorités qui s’associent pleinement à la guitare d’Alcorn. On assiste alors à un véritable dialogue, les deux musiciens faisant constamment des propositions débouchant sur des moments de plénitude ou des courses effrénées.

Changement de décor et de programme le lendemain à Experimental Sound Studio, un studio d’enregistrement qui sert également de lieu de concert dans un cadre intimiste. Pour l’occasion, Alcorn donne un concert en solo. Ce set fait un peu carte de visite. La guitariste a choisi des morceaux qui servent de repères dans son parcours musical et entre lesquels elle se transforme en narratrice et partage maintes anecdotes. Elle commence par une improvisation qui doit beaucoup à ses premières amours musicales et évoque les grands espaces. Les notes qu’elle étire ont également un pouvoir apaisant.
La fameuse composition de Messiaen entendue sur les ondes « Et Exspecto Resurrectionem Mortuorum » a posé à la guitariste des problèmes insolubles le jour où elle s’est mis en tête de la jouer sur son instrument. Il faut dire qu’elle fut écrite pour bois, cuivres et percussions. Elle est donc devenue « Waiting For The Resurrection Of The Pedal Steel Guitar ». Susan Alcorn fait monter les notes basses de son instrument, imitant l’ampleur de l’orgue pour lequel le compositeur français avait une prédilection. Elle offre également deux transpositions de compositions d’Astor Piazzola (« Invierno Porteño » et « Adiós Nonino ») qui sont tirées d’un récent album intitulé Soledad. Elle conclut son concert par une longue improvisation en forme de patchwork prenant pour point de départ une de ses propres compositions encore en attente d’un titre, celle-ci inspirée par une intoxication alimentaire. Ces pérégrinations l’amènent à citer Varèse, à se perdre dans la mélodie du « Naima » de John Coltrane qu’elle rend avec une infinie délicatesse, avant de revenir à du Messiaen dont elle sait restituer l’univers troublant et mystérieux.

Le 31 juillet, petite escapade à Milwaukee dans l’arrière-salle d’un bar dénommé Sugar Maple. La tenancière n’est autre qu’Adrienne Pierluissi, l’ex-femme de Bruno Johnson, propriétaire du label Okkadisk. Le public est différent : plus âgé et entièrement blanc. En revanche, la première partie est un peu la sœur jumelle du set en solo de la veille. Seules exceptions : « Mercedes Sosa », une composition originale dédiée à la grande chanteuse argentine, et des changements apportés à la longue improvisation inspirée par ces fameux troubles digestifs.
Ce soir-là, la musique semble d’ailleurs plus évocatrice, suggérant des symptômes hallucinatoires. La deuxième partie donne lieu à un premier duo avec Ken Vandermark. Alcorn trouve quelqu’un à qui se frotter et qui n’a pas peur d’oser. Durant quatre improvisations, le duo est tour à tour effervescent et songeur. Les changements de direction sont fréquents et les deux musiciens se charment l’un l’autre, s’encouragent ou se bousculent. Entre moments de fusion ou de contrastes, des bribes de mélodies pointent leur nez. L’arsenal de Vandermark (clarinette, saxophones ténor et baryton) leur permet également d’élargir la palette sonore sur laquelle ils peuvent évoluer.
Il en restera les improvisations les plus réussies du séjour de Susan Alcorn qui - il faut espérer - ne tardera plus autant à revenir à Chicago.